À l’occasion de la parution d’une bande dessinée "Madeleine, Résistante" ( Dupuis) et la réédition des "Linges de la nuit", témoignage toujours d'actualité, sur les conditions de travail dans les hôpitaux, (Michel Lafon), Madeleine Riffaud raconte son destin hors du commun dans l’Heure Bleue.
Résistante à 18 ans, poétesse, reporter de guerre, amie d’Éluard et de Hô Chi Minh, Madeleine Riffaud a vécu mille vies. Mais l’intrépide combattante a longtemps tu son passé, avant de livrer son témoignage.
Elle n'est encore qu'une enfant lorsqu'elle tue un officier allemand, à Paris, de deux balles dans la tête, le 20 juillet 1944, outrée par l’annonce du massacre d’Oradour-sur-Glane et par la mort d’un proche résistant.
Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.
Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.
Par la suite, jeune femme désœuvrée, ce sera la rencontre avec Paul Eluard, figure tutélaire désormais, qui lui permettra de continuer sa vie après l'épisode de la résistance et de devenir grande reporter, auteure et grande amoureuse aussi de Nguyen Dinh Thi, artiste vietnamien proche de Hô Chi Minh. Eluard lui présente Picasso qui dessine son portrait. Ils sont restés amis jusqu’au décès du peintre.
La suite est toute aussi intense, folle : grand reporter pour le journal L'Humanité, elle couvre la guerre d'Algérie, au cours de laquelle elle est victime d'un attentat organisé par l'OAS.
Aussitôt guérie, elle couvre la guerre du Viêt Nam pendant sept ans, dans le maquis du Viêt-Cong sous les bombardements américains. À son retour, elle se fera embaucher comme aide-soignante dans un hôpital parisien, expérience dont elle tire le best-seller Les Linges de la nuit.
Extraits de l'entretien
La vie est belle finalement, il faut savoir la regarder, c'est tout.
Laure Adler : Vous avez eu combien de vies ? J'aimerais commencer par celles du début.
Madeleine Riffaud : "J'ai été Madeleine quand j'étais petite. Mes parents étaient instituteurs de village et mes grands-parents étaient ouvriers agricoles. Là, on m'appelait Madeleine. Après, pour la Résistance, j'ai été Rainer de 1941 à 1944. Et après, très, très longtemps après, j'étais redevenue Madeleine pour les articles et reportages de terrain."
Rainer Maria Rilke, c'est parce que vous étiez amoureuse du poète.
"C'était un type extraordinaire. Le premier poète que j'ai connu, je l'aimais beaucoup."
Comment les Allemands ont-ils découvert que vous étiez résistante ?
Quand j'étais condamnée à mort, j'y ai réchappé plusieurs fois grâce à des coïncidences.
"On me disait : "Ah non, pas ce matin, tu as une confrontation." Moi, j'ai toujours fait croire aux Allemands que je n'étais pas résistante. Que j'étais une femme, qui avait perdu son mari, et qui avait voulu, dans sa douleur, se venger en somme [en tuant un officier allemand].
À la fin, l'officier, qui tenait mon dossier et qui parlait un français parfait, m'a dit : "Nous te croyons. Mais tu as tué un homme. Alors le 5 août, tu seras fusillée." J'ai répondu : "Merci Monsieur." Il faut comprendre que je ne voulais pas repasser par la torture.
Un témoin m'avait reconnue sur une photo lors d'une opération, il a dit : "Mais elle est résistante ! Elle fait croire qu'elle ne l'est pas, mais elle l'est ! Elle commande même à des adolescents, je l'ai vue moi, de mes yeux."
Là, le "gentil" officier SS, si on peut dire, m'a dit : "Bon, alors, vous nous avez roulé dans la farine, comme vous dites vous Français? Vous n'êtes pas une petite jeune fille amoureuse, malheureuse, qui s'est vengée dans un moment de folie, donc on va refaire un dossier avec vous, résistante. Alors maintenant, on repart à zéro.
Et là on va vous couper en morceaux, mais vous parlerez.
Vous savez, pour peu que j'ai fréquenté les Allemands, ils ont un côté très fleur bleue, ils aiment les histoires d'amour. Ils avaient trouvé que la mienne était bien jolie. Et finalement, il y avait quelque chose d'indéfinissable autour de ça. Mais après, quand ils ont vu que je les avais trompés, alors là, évidemment, ça a été ma fête !"
Comment avez vous trouvé la force de résister à la torture?
"On était prêts à être arrêtés. On en parlait entre nous et on avait reçu une petite brochure qu'on se passait l'un à l'autre. Ça s'appelait "Comment se défendre?" et on nous expliquait à nous, comment faire. Tout d'abord vous vous dites : "Je ne suis pas résistante". Vous vous imprégnez de cette parole, vous vous faites un lavage de cerveau à vous-même : "J'ai tout oublié, je ne parlerai pas. Je ne sais rien, je ne peux pas parler." "
Pourquoi vous ont-ils laissés la vie sauve ?
"Vous savez, on me dit "Vous avez été arrêtée le 23 juillet, la libération a eu lieu le 25 août, vous n'êtes pas restée bien longtemps, 4 semaines, 5 tout au plus"."
Mais c'est beaucoup 5 semaines de torture.
"Oui, quand on est arrêté en flagrant délit d'avoir abattu un gradé allemand, devant tout le monde comme ça, un dimanche, sur ordre. Il ne faut pas faire ça."
Oui, mais vous l'avez fait, même si c'était sur ordre.
"Oui, c'est vrai. J'étais bien malheureuse ce jour-là. J'avais envie de pleurer."
Je voulais savoir quel sentiment vous avait envahi le jour de la Libération et comment vous avez vécu les moments d'après ?
"Le jour de la Libération, j'était avec la compagnie Saint Juste. J'avais été affectée dans une veine où nous étions très nombreux et il fallait quelqu'un pour diriger. Notre commandant d'Harcourt a envoyé trois garçons étudiants, dont moi, nous étions des "vieux combattants." On avait fait la lutte armée depuis 2 ans."
Avez-vous l'impression, Madeleine, qu'aujourd'hui, la mémoire de la Résistance soit bien transmise vers les jeunes générations et qu'on reconnaît assez le rôle des résistantes, parce qu'on parle assez peu des femmes dans la Résistance, dans les manuels d'Histoire?
"Oui, mais en 94, quand on a été réquisitionnés, en somme, on parlait de la Résistance. On a témoigné dans les écoles, dans les amphithéâtres, partout. Moi, j'ai même témoigné en Italie, en Allemagne, en Belgique. On a rétabli la vérité. Il y a eu pendant 3, 4 ans à partir de 1994, des musées, des livres… On a reparlé de la Résistance."
Quel âge avez-vous aujourd'hui ?
"Dis donc vous n'écoutez pas la radio vous, j'ai 20 ans en 1944, deux jours avant la Libération de Paris. Tu parles, j'ai 97 ans. Quand j'ai appris ça, je n'en revenais pas. Moi je m'en fou de mon âge.
Si je suis encore à peu près fréquentable, c'est parce que je ne pense pas à mon âge. Si vous avez 75, 80 ans, si vous vous dites par malheur : "Je suis vieux, je suis vielle." Et bien vous êtes vielle, c'est tout !
Si vous n'y pensez pas, et que vous vous occupez des autres, vous ne vieillissez pas, c'est tout. Ce n'est pas difficile comme recette."
Qui admirez-vous aujourd'hui ?
"J'admire des gens très simples. J'admire ceux que je connais, ceux que je vois tous les jours. Par exemple, les infirmiers. J'admire ces gens, ils sont des résistants. Je dis souvent que les résistants d'aujourd'hui, c'est le personnel de santé. Point barre. C'est tout.
Parce que ça, on n'en parle pas assez. Une fois, il fallait applaudir à 20 heures et que sont-ils devenus maintenant ? On n'a pas fait suivre la soi-disant admiration.
Ces hommes et ces femmes, il y en a qui deviennent fous. Vous savez, on en a très peu parlé pendant la grosse épidémie. On a fait appel à quelques internes étudiants en médecine. C'est bizarre, ils se sont suicidés, on l'a dit à la radio. Une fois, deux fois, et on n'en a plus parlé. Pour moi, ça dit tout."
Vous êtes en colère aujourd'hui ?
"Non, triste. Pas résignée. Je suis triste de ne pas pouvoir faire ce que je voudrais. Je suis triste de ne plus voir les couleurs, de ne plus pouvoir lire le journal, d'avoir toutes mes vieilles blessures qui se réveillent et me rendent infirme. Je l'ai caché longtemps, maintenant je ne peux plus le cacher. Je suis aveugle."
Qu'espérez-vous ? Vous êtes heureuse aujourd'hui d'être enfin de nouveau reconnue pour ce que vous êtes ?
"Je m'en fout. Ça m'est égal. Moi, je n'aime pas être humiliée, c'est l'humiliation, qui m'a fait rentrer dans la Résistance, et maintenant je suis humiliée tous les jours, parce que mon corps ne marche plus."
Mais la tête elle marche.
"Oui !"
L'équipe
- Production
- Autre
- Autre
- Coordination
- Autre
- Stagiaire