Philippe Sollers infiltré : "L'amour est plus fort que la mort" : épisode • 2/2 du podcast Philippe Sollers, autoportrait

L’écrivain, éditeur, critique, Philippe Sollers, auteur de “Agent secret” Mercure de France) et de “Légende” (Gallimard).
L’écrivain, éditeur, critique, Philippe Sollers, auteur de “Agent secret” Mercure de France) et de “Légende” (Gallimard).  ©AFP - JACQUES DEMARTHON
L’écrivain, éditeur, critique, Philippe Sollers, auteur de “Agent secret” Mercure de France) et de “Légende” (Gallimard). ©AFP - JACQUES DEMARTHON
L’écrivain, éditeur, critique, Philippe Sollers, auteur de “Agent secret” Mercure de France) et de “Légende” (Gallimard). ©AFP - JACQUES DEMARTHON
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Philippe Sollers écrivain, éditeur, critique, est un homme qui a vécu mille vies, il était l’invité de l’Heure Bleue à l’occasion de la double parution d’un autoportrait, “Agent secret” et d’une interrogation sur notre civilisation, “Légende”.

Avec

Pour cette deuxième rencontre, Philippe Sollers nous recevait dans son tout petit bureau chez Gallimard, une antre magique, son lieu de vie intense où sont collectionnés des manuscrits, des livres anciens, des livres rares, des livres de bibliophilie, mais aussi des statues, pour une conversation très libre à l'occasion de cette double publication : "Agent secret" aux éditions Mercure de France et "Légende" aux éditions Gallimard. De sa profonde amitié pour Jacques Laquan, à son rapport à l'au-delà, en passant par la conceptualisation d'une nouvelle forme de divinité sociale qui remplacerait implicitement les anciennes, la façon de penser l'espace-temps, son amour de la calligraphie chinoise, son amour pour l'écrivaine Dominique Rolin, son rapport à l'amour et sa force créatrice plus que vitale, l'écrivain partageait plusieurs des grandes réflexions qui animent son esprit d'écrivain ces dernières années.

"La société croit en un Dieu et un monde tout à fait nouveau"

L'écrivain commence par revenir sur le contexte actuel de notre société qui aurait inventé un "dieu nouveau" qui n'aurait, bien sûr, plus rien à voir avec les précédents, ni avec les dieux grecs, ni avec les religions monothéistes que nous connaissons. Il cherche à établir ce qu'il appelle "une logique du silence face à un monde qui bavarde et communique trop". D'après lui, "nous serions rentrés dans l'ère du journalisme absolu, de l'indiscrétion absolue". Il reconnait que, dans tous ses livres, il essaie de donner cette possibilité que "Dieu n'est pas quelque chose à croire, mais bien un événement à reconnaître. Le divin est quelque chose qui se manifeste et qu'on reconnaît ou pas. Dieu, revient sous une autre forme que celle à laquelle on pouvait jusque-là, traditionnellement penser. Il est mort et il n'est pas ressuscitable. Il aurait quelque chose de plus transhumain, beaucoup plus lié à la conception d'un évènement dans l'instant T ".

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Une vision de la divinité qu'il rapproche nécessairement à la conception qu'il se fait de l'espace-temps et par lequel il formule aussi une manière que l'humanité aurait de comprendre, désormais, le monde de façon totalement différente. En somme l'avènement d'un monde nouveau, d'un nouveau temps : "cet espace à quatre dimensions avec des points, des singularités qui correspondent à différents évènements dont la courbure deviendrait infinie. Aujourd'hui, nous vivons dans un autre temps qui est assez indéfini et sans repère". Il professe l’avènement d'un temps rétréci, d’une nouvelle manière d’être à ce monde qu’il analysait déjà dans son roman “Le Nouveau” en 2019.

Dominique Rolin et Jacques Lacan, deux précieuses rencontres

L'amour, il en parle beaucoup à l'intérieur de ses deux derniers livres. Dans un cheminement autour des figures qui l’ont marquées, Philippe Sollers convoque l’écrivaine Dominique Rolin, avec qui il a entretenu une longue histoire d’amour et d’écriture, livrée au lecteur sous la forme d'une correspondance. Alors que Dominique Rolin est décédée en 2012, il garde en mémoire la conviction que l’amour est plus fort que la mort. Dominique Rolin, c'est le grand amour, c'est l'amour absolu. Il avait 25 ans, elle en avait 45 et jusqu'à la fin de sa vie, ils ne se sont jamais quittés. À l'intérieur de son dernier livre, il cite une correspondance admirable de Dominique Rolin qui lui est envoyée un jour ou elle vaque à ses activités familiales : "C'est un.e écrivain.e qui écrit et qui me parle de ce qu'elle est en train d'écrire. On échange nos sensations et bien d'autres choses, nos lectures, notre rapport à la peinture qu'elle voyait bien mieux que moi, avec un oeil très aigu, quand moi, je pense lui avoir fait découvrir la musique. Je suis obligé de penser à elle notamment quand je regarde mes bouteilles de grands crus de Bordeaux qui font directement référence à ce lieu enchanté où j'ai vécu enfant. Une fois par semaine, on ouvrait ensemble une bouteille de grand cru en même temps qu'on écoutait de la musique. On boit à la gloire de la musique et de l'instant compris comme espace-temps".

Quant à son rapport personnel avec l'amour, il raconte que la mémoire de l'amour se manifeste par une conviction profonde que l'amour est plus fort que la mort : "C'est pourquoi, pour moi, Dominique n'est pas morte du tout. L'amour est plus fort que la mort. Le pouvoir de la vérité consiste à savoir si on tient le coup dans l'amour par rapport à la mort. Se maintenir par rapport à la mort est ce qui demande la plus grande force qui réside dans l'amour et pas ailleurs. L'amour ne nécessite même pas l'idée de croyance à l'éternité puisque le temps n'est pas fait pour aboutir, il surgit. L'instant est quelque chose qui me parle constamment. L'instantanéité du présent est si intense qu'il faudrait tous qu'on puisse vivre chaque seconde l'intensité de notre présence".

Suivant le fil des pages de son roman ”Agent secret”, il revient aussi sur son amitié avec le psychiatre Jacques Lacan, tissée après ses séances de psychanalyse. Il le décrit comme quelqu’un de reposant, qui ne parlait pas pour ne rien dire, contrairement à ce qu'il reproche à la société contemporaine. Il fait le portrait d'un homme très doux, très gentil, avec qui il s'est profondément lié d'amitié, avec qui il parlait souvent en fin de journée, après que le psychiatre ait écouté les souffrances des autres, rein que pour se détendre à ses côtés : "Il m'aimait bien, parce que je le reposais. Il sortait de là, épuisé, en fin d'après-midi, il m'emmenait au restaurant en face de chez lui, rue de Lille et commandait du champagne rosé, c'était tout à fait délicieux. C'était quelqu'un qui ne parlait pas pour ne rien dire, c'est extraordinairement reposant. Il dégageait une forme de corps parlant. Il était accompagné de toute sa mythologie privée, qui brûlait en lui sans rien dire".

La lecture comme hygiène de vie

Alors qu'il manifeste son inquiétude quant à la diminution globale de l'intérêt pour la lecture, et les risques que cela pourrait induire, selon lui, sur le travail de la mémoire et le goût pour la réflexion en général, il ne peut s'empêcher de rappeler combien la lecture représente à ses yeux une discipline fondamentale, une hygiène de vie, une gestion du temps, un appareillage minimal pour continuer à appartenir au monde : "Grâce à elle on se rend compte de la chance miraculeuse qu'on a d'être en vie, notamment grâce à sa mémoire. Chaque livre est là pour témoigner de quelque chose et avec eux je vérifie toujours que je peux aller plus loin dans ce que je sais déjà pour cultiver l'impassibilité, l'agilité et la subtilité que confèrent les mots".

▶︎ La suite à écouter…

📖  LIRE - En 2021, retrouvez un Philippe Sollers plus exalté et provocant que jamais dans " Agent secret" (Mercure de France) et " Légende" (Gallimard).

Archive INA du 23 juin 1996 : Dominique Rolin à propos de sa conception de la mort, de la vieillesse et de la dégradation physique.

53 min

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