

Soirée évènement ce mardi sur France 2, autour du documentaire "Décolonisations, du sang et des larmes". Ses auteurs, le réalisateur David Korn-Brzoza et l'historien Pascal Blanchard, sont ce matin les invités de "L'Instant M".
- Pascal Blanchard Historien, chercheur au CNRS au Laboratoire communication et politique, spécialiste du "fait colonial" et des immigrations en France
- David Korn-Brzoza
Soirée événement de France 2, ce documentaire en deux volets consacré à la décolonisation. 1h15 chacun. En couleur, rythmé, efficace, certes, mais court, beaucoup trop court pour raconter comment notre empire colonial s'est d'abord fissuré dans les années 1930, puis a implosé après-guerre. Sénégalais et Algériens n'avaient-ils pas aidé à libérer la France, ce colon prétendument tout puissant, mais défait par les Allemands ? De Gaulle n'avait-il pas promis un autre avenir aux colonies ?
Une France aveugle, une France qui s'enfonce dans la répression, une France coupable de massacres qu'elle a tus, condamnant des populations entières à un silence douloureux et humiliant, ferment de haine. Vous l'aurez compris : ce récit au pas de course ne s'embarrasse pas. Il ne sert qu'une vision, ne questionne qu'un héritage : celui "du sang et des larmes". D'ailleurs, c'est dans son titre.
La télévision publique en fait son prime time : rien que cela témoigne d'un profond changement de paradigme.
Bande annonce :
Le documentaire "Décolonisations : du sang et des larmes" est disponible en replay jusqu'au 5 décembre 2020 sur le site de France TV ( partie 1 / partie 2 / débat)
Extraits de l'entretien
Pascal Blanchard : "Les conquêtes coloniales, l'administration de l'empire, les décolonisation forment un tout. Mais en même temps, chaque moment historique a sa spécificité, a sa typologie. La conquête était aussi violente que les indépendances et, ce qu'on oublie : le temps de l'administration a aussi été un temps de guerre. La guerre du Rif, les opérations civiles au Liban. A aucun moment, l'Empire n'est pacifié. C'est la mythologie qui nous fait croire à un empire pacifié".
David Korn-Brzoza, à propos du discours colonial mis en scène par la France :" C'est de la propagande. On récupère toutes ces images, mais on les contextualise. On explique bien comment la France propage son discours d' "œuvre civilisatrice", "nous civilisons le monde", "les infrastructures que nous bâtissons dans les colonies sont faites pour pour rendre service aux colonisés" - alors qu'en fait, on sait très bien que c'est pour exploiter ces terrains. Lorsque la France dit qu'elle bâtit des écoles et qu'elle essaye d'enseigner au plus grand nombre, en réalité : à peine 8% des colonisés étaient scolarisés"
A propos du travail de mise en scène sur la reddition de Sétif après une répression féroce en Algérie, des familles placées là où il faut dans le champ de la caméra avec des fusils bidons : "La propagande, à ce moment là, veut montrer la puissance et la force de la République française. Et on fait comprendre aux autres que s'ils bougent, ce sera comme en Algérie. D'ailleurs, vous remarquerez, ils font la même chose à Madagascar : on voit même les soumissions des populations à genoux devant le gouverneur des colonies. Tout ça, c'est pour montrer à l'autre ce que la France peut faire si on se révolte. On est dans un temps où les gens ne vont pas dans les colonies. Ils sont pour la plupart en France et regardent ce qui se passe aux colonies à travers, notamment, les actualités cinématographiques. Il n'y a pas la capacité d'aller sur le web, de voyager, de constater, de discuter avec l'autre. L'image occupe 100% de la manière de voir l'espace colonial, donc la propagande est quelque part un espace merveilleux pour s'étendre et dominer complètement l'information" D'où la question du manque d'images pour effacer les exactions d'une France sourde et aveugle qui s'enferre dans la démonstration de force...
Aucune image ne témoigne des tirailleurs sénégalais sur lesquels l'armée française a tiré pour ne pas payer leur solde au moment de la libération, aucune image des massacres perpétrés à Madagascar en 1947 - on a parlé même d'un "Oradour malgache" : on emmène des prisonniers en avion, on les lâche vivants sur des villages... Comment faire un documentaire sans matière première, sans images ? David Korn-Brzoza explique qu'ils ont "retrouvé plus de 40 témoins à travers le monde, qu'ils soient ancien résistant malgache de 1947, d'autres anciens résistants du Vietminh, Algériens, Marocains, d'anciens soldats français... " Témoins qui incarnent donc le contre récit trop longtemps tenu face aux discours officiels.
Ils sont venus avec leurs médailles. Le jour de l'interview, ils avaient mis leurs plus beaux vêtements et sorti toutes leurs médailles - pour certains, ils avaient combattu la France et pour d'autres, ils avaient combattu aux côtés de la France.
Pascal Blanchard :
On est peut être de cette génération où on a les derniers grands témoins de l'histoire de décolonisation. C'est aussi pour ça que cette grande épopée qu'a eu la volonté et l'envie de faire France 2, c'est aussi un moment essentiel parce que dans dix ou vingt ans, nous ne pourrons plus entendre cette parole. Il n'y aura donc plus que la parole des spécialistes pour parler de cette histoire.
"On se dit "c'est incroyable ce qu'a été la matrice à détruire, en fin de compte, au nom de la civilisation et de la République, qui a pu broyer autant d'hommes - y compris, je tiens à le dire, des Français qui ont été envoyés là bas pour des guerres inutiles. Il y a aussi d'anciens soldats parmi ces témoins, des témoins essentiels qui nous disent bien que la France a sacrifié une génération "pour rien".
La question de la mémoire et du récit, de la transmission au sein des familles, est aussi au sein de ce documentaire. L'un d'eux, interviewé dans le documentaire, revient notamment sur la guerre au Cameroun, où l'armée française a utilisé le napalm. "Si vous vous rappelez un premier ministre [François Fillon] qui nous disait encore quelques années qu'il n'y avait même pas eu de guerre au Cameroun de l'armée française alors que c'est certainement un des conflits les plus violents, les plus destructif pour les populations civiles, les plus destructifs aussi" réagit Pascal Blanchard. "En plus, c'est une guerre que la France a continué APRES les indépendances. On oublie complètement ces dix ans d'un conflit incroyable de violence".
C'est une politique d'Etat pour dire à tous les autres "Si vous voulez finir comme le Cameroun, n'écoutez pas ce que vous demande la France. En fait, la Françafrique se construit à travers la violence du Cameroun.
On pense que la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, Nouvelle-Calédonie, par exemple, n'ont jamais voulu être indépendants, on n'imagine pas qu'il y avait des indépendantistes. On ne sait pas que la plupart des leaders nationalistes polynésiens étaient en prison, à Paris. On ne sait pas ce qui s'est passé là-bas. On a complètement oublié la répression pendant 15 ans et on se dit "Bah non, ils ont voulu rester Français, puis ça s'est bien passé". Non, comme le dit Lilian Thuram, avec un grand silence : "On a perdu. On a perdu donc on raconte pas l'histoire", donc ni les Antillais, ni les Réunionnais, ni les Néo-Canadiens, raconte l'histoire. Et nous, les Français, de cette manière, on raconte une histoire un peu idéale. "Ils ont choisi la France".
On n'écrit pas l'Histoire avec une gomme
Extraits du documentaire
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