Jean-François Kahn, une vie de presse

Jean-François Kahn
Jean-François Kahn ©Getty
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Le journaliste Jean-François Kahn publie ses « Mémoires d'outre-vies » aux éditions de l'Observatoire.

Avec
  • Jean-François Kahn Journaliste, essayiste et écrivain, co-fondateur de l’hebdomadaire "Marianne"

Le premier tome des mémoires de Jean-François Kahn compte 653 pages et cette phrase succulente : Dans la vie, « tout sert. À part le latin et le grec quand on n’est pas curé ». Vous y trouverez aussi plein de chansons désuètes et d’opéras français oubliés, un chapitre déchirant sur le père de Jean-François Kahn qui s’est suicidé et a appris deux choses à ses fils : penser contre eux-mêmes et aussi, penser contre lui. En embrassant par hasard le journalisme, Jean-François Kahn empoigne l’Histoire. 

Ce tome parcourt la décolonisation, ses leaders, ses crimes de sang, ses victoires. Il plante le décor du gaullisme déclinant et les leviers des grands récits politiques qui ont encore la main, même si ce livre est émaillé de figures de gauche passant à l’extrême droite. Dans cette somme sincère et trépidante, j’ai choisi d’évoquer ce matin avec Jean-François Kahn les médias où il s’est formé. « Paris-Presse », « L’Express », « Europe 1 », « le Quotidien de Paris » : Il le dit lui-même, c’est pas la panacée, mais il faut en avoir été ! Au moins pour se forger une évidence : ni la presse de gauche, ni la presse de droite. L’homme finira par fonder « L’Evènement du jeudi » en 1984. Mais ça, il nous le racontera l’année prochaine…  

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L'entretien avec Jean-François Kahn se poursuit en podcast : Retrouvez le sur l’application Radio France, disponible sur iOS et Android, ou via le fil RSS

Extraits de l’entretien 

Sonia Devillers : Quelle drôle de mélange cette faune de journalistes que vous avez rencontrée à Paris Presse à la fin des années 50… 

JF K : C’était 11 ans après la Libération, il n’y avait pas une cassure totale ente les collabos et les résistants… dans certains journaux ils se retrouvaient, c’était un mélange incroyable.   

Vous êtes d’une honnêteté incroyable : vous racontez que vous n’aviez aucune vocation pour ce métier, qui vous est tombé dessus. Vous auriez réécrit l’histoire avec un feu sacré, on vous aurait cru… 

Il faut essayer  d’être le plus sincère possible. 

Je suis en train de lire les mémoires d’Alexandre Dumas, il restitue des conversations avec une précision qui laisse perplexe, personne ne peut se rappeler d’un dialogue au mot près trente ans après. A 16 ans j’ai eu une très grande conversation avec Albert Camus sur le mythe de Don Juan qui me fascinait, une heure de discussion, j’ai tout oublié ! A 22 ans j’ai eu la chance d’accompagner le jeune roi Hassan II en visite au Louvre, commentée par Malraux. Je ne me souviens pas d’un mot. Vous imaginez si j’avais pu raconter ces deux moments… 

Vous dîtes que votre timidité vous a empêché d’être un grand journaliste… 

Cette timidité m’a empêché de rencontrer Dalida, je ne m’en suis jamais remis, j’avais 18 ans, je voulais, mais je n’osais pas. (Rires) 

Vous allez couvrir pour Paris presse la fin apocalyptique de la guerre en Algérie puis vous couvrirez les débuts de l’Indépendance et vous raconterez un putsch… 

J’ai couvert 10 putschs militaires,  je suis un grand spécialiste des putschs ! (Rires)  

Il y a deux faits déterminants dans ma prise de conscience : l’intervention française à Suez et la guerre d’Algérie. Mon père avait été résistant, la question de la torture résonnait de manière très particulière chez moi. 

Au sujet de l’Algérie, vous jugez vos premiers papiers maladroits, parce qu’ils mélangent l’effet de sidération face à la violence et ce que vous racontent les témoins des évènements… 

J’arrive à Alger à 23 ans. Le second jour de mon arrivée, je suis confronté à une énorme explosion sur les Docks, 60 morts déchiquetés. J’étais le premier européen sur place, les Musulmans ont commencé à me taper et ce sont deux militants FLN qui m’ont dégagé et transporté en lieu sûr. J’ai voulu écrire mais je ne pouvais pas tellement je tremblais. Quand j’ai finalement écrit, j’ai mélangé ce que j’avais vu et ce que l’on m’avait dit, ce qui est critiquable. Un mois et demi plus tard j’assistais à un assassinat sans sourciller. On ne peut pas imaginer à quel point on s’habitue à la violence.  

Ce que l’on voit sur le terrain, n’est pas ce qui est. C’est une vision par essence parcellaire, une illusion d’optique 

**Petit à petit vous quittez les jupes de Paris presse, vous  devenez correspondant pour Le Monde et en 1968 vous découvrez Le monde de L’Express, un journal de grand luxe, dirigé par le clan de Servan Schreiber, que vous dépeignez comme «**radicalement centriste, d’un antigaullisme forcené et aveugle » , vous en faites un portrait contrasté, celui d’un homme capricieux, arrogant, féministe par sexisme… 

Oui, c’était un homme très intelligent avec une case en moins. Par exemple il lui arrivait de mettre un gilet par balles au cas où, ou bien de se maquiller au cas où une télé veuille le filmer… 

Ce que vous ne lui pardonnez pas c’est d’avoir mis son journal au service de ses ambitions politiques personnelles. Il se présente à une élection locale à Nancy et met l’Express à son service. Puis, il décide de se présenter à Bordeaux où il échoue, alors que l’Express a quasiment donné une dimension présidentielle à cette élection. Vous en tirez une leçon personnelle… 

Oui, il m’a viré pour mon positionnement. Il m’a envoyé un motard en gants blancs porteur d’une lettre dans laquelle il me disait monsieur, Vous êtes un des meilleurs journalistes, donc je dois me débarrasser de vous… (rires) 

L’affaire Ben Barka c’est vous. 

On n’imagine pas à quel point les journalistes ont acquis une liberté et une indépendance qu‘ils n’avaient pas hier.  

« J’ai couvert une manifestation au métro Charonne qui avait fait 9 morts. De retour au journal, on ne me demande rien. Peu de temps après je réalise que le rédacteur en chef est au téléphone avec le Ministère de l’intérieur en train de lui dicter le compte-rendu de la manifestation…  Un peu plus tard je couvre uen autre manifestation suivie de violences ayant engendré une cinquantaine de morts… également étouffée. Est-ce que vous pouvez imaginer aujourd’hui que de tels évènements survenus à Paris soient passés sous silence ? Ça s’est énormément amélioré ! » 

Vous pointez dans vos premières années de journalisme un paysage médiatique beaucoup plus varié qu’à l’heure actuelle. 

Ah oui, quand j’ai commencé il y a avait 13 journaux quotidiens dans les kiosques, 13 sensibilités différentes. Aujourd’hui il y en a 2 : Le Monde et Le Figaro… La presse quotidienne se vend peu dit-on, mais ils ont des sites numériques très puissants et ils forgent l’opinion car la radio, la télé et la prince de province s’inspire de ces journaux.  

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