La conquête de l'Ouest par l'image ou comment les Etats-Unis ont caché les premiers occupants mexicains

Une autre histoire du Far West. Ici Monument Valley en Arizona aux Etats-Unis
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Une autre histoire du Far West. Ici Monument Valley en Arizona aux Etats-Unis ©Getty - James O'Neil
Une autre histoire du Far West. Ici Monument Valley en Arizona aux Etats-Unis ©Getty - James O'Neil
Une autre histoire du Far West. Ici Monument Valley en Arizona aux Etats-Unis ©Getty - James O'Neil
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Le documentaire "Far West, l'histoire oubliée" redonne un visage et une mémoire aux oubliés de l'épopée de l'Ouest. Ces hommes et ces femmes qui vivaient à la frontière américano-mexicaine. La réalisatrice Mathilde Damoisel et le photographe Tomas van Houtryve sont les invités de l'Instant M

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Pourquoi L’Instant M a-t-il décidé ce matin de vous raconter la véritable histoire du Far West ? Pourquoi une émission consacrée à l’analyse des médias se pencherait-elle sur ce morceau d’histoire enfoui par les Etats-Unis ? Parce que parfois, les images font plus de ravages que les armes à feu. La photographie, puis le cinéma, voilà le véritable bras armé de la conquête de l’Ouest par les Américains. La photo a donné un visage aux pionniers, le cinéma a écrit la légende. Le tout a contribué à effacer le visage, l’identité et le souvenir des habitants de ces contrées devenues américaines. Ils ont pourtant bel et bien existé, mais on les a invisibilisés.

Extraits de l'entretien

Mathilde Damoisel : "La frontière entre des États-Unis au Mexique est très récente : 1848. À l'origine du projet photographique de Tomas qui a abouti à ce documentaire, était l'obsession médiatique et politique sur cette frontière à l'élection de Donald Trump. On ne parlait de ce mur qu'il fallait construire, ou pas, qui devait isoler l'Amérique du reste de tout ce qui est au Sud.

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Or, en faisant ses recherches, Tomas a retrouvé le tracé de l'ancienne frontière, celle d'avant 1848. La Californie, le Texas, l'Arkansas, le Nouveau-Mexique, un bout de Wyoming, juste la frontière de l'Oregon… Donc, un tiers des États-Unis était le Mexique. Les États-Unis ont attaqué et conquis ce territoire en 1848. Jamais, et c'est sidérant, dans toute cette obsession médiatique sur la frontière, on ne s'interroge sur son origine et sur ce qu'il y avait avant elle.

Bernadette Ortis - Pena Lake Carter dans "Far West, l'histoire oubliée"
Bernadette Ortis - Pena Lake Carter dans "Far West, l'histoire oubliée"
- Tomas van Houtryve/Les films d'ici

Ces personnes que Tomas a photographiées et qu'on est allés retrouver pour les interviewer, pour faire entendre leur voix, sont des gens qui nous rappellent que les frontières sont mouvantes. Ils disent, et ça a été un cri de ralliement pendant longtemps :

"On est traités en étranger ici. Mais on n'a pas à traverser la frontière. La frontière nous a traversés."

C'est important de le rappeler que leur place aujourd'hui dans la société, comme peuple natif, comme peuple mexicain ou hispanique extrêmement métissé, est niée."

Témoignage tiré du documentaire : "Oui, nous avons été si soigneusement effacés. Nous n'avons jamais été représentés. Et ça, c'est la violence et la conquête au seuil de l'âme."

La "destinée manifeste"

Mathilde Damoisel : "Pourquoi les américains ont-ils effacés les habitants qui étaient là avant eux ? C'est vraiment au cœur de la mythologie américaine, cette l'idée de la destinée manifeste. Les Anglo-Américains, blancs, protestants sont là par la volonté de Dieu et l'expansion vers l'Ouest est légitimée par Dieu.

Et la conquête de l'Ouest, le mythe dominant est célébré dans le monde entier. Il y a l'idée que tout commence en 1848/49 avec l'arrivée des camions bâchés, des pionniers, des trappeurs, les chercheurs d'or. Le fait même d'envisager qu'il y avait des gens avant et pas simplement des gens, mais une civilisation."

L'archive manquante

Tomas van Houtryve : "La méfiance envers les Mexicains n'est pas nouvelle. Enfant, aux États-Unis, on ne m'a rien enseigné sur l'histoire du pays, sur les amérindiens. Adulte, devenu photographe, j'ai commencé à m'intéresser à quoi ressemblait le passé de nos pays avant 1848. J'ai commencé à chercher des archives de l'époque mexicaine. Et surprise, les photos n'existent pas. L'invention de ce procédé est arrivée un petit peu trop tard.

L'idée du projet était d'imaginer à quoi ressemblait ce passé, de construire une archive manquante.  Je suis donc allé à la rencontre des gens, des familles qui vivent dans le Far West depuis, avant la conquête américaine, les Amérindiens et les vieilles familles hispaniques. J'ai rencontré les descendants des peuples qui étaient là au moment de la conquête de l'Ouest.

Quand on prend une photo de quelqu'un, ou quand on regarde une vieille photo ou une photo familiale, on est toujours frappé par la ressemblance avec des visages d'aujourd'hui. Il y a des échos dans les visages. J'ai pris les techniques photographiques du XIXe siècle : une vieille chambre en bois, des plaques de verre, un labo portatif avec du collodion humide…  Comme s'il y avait pu avoir une chambre photographique à l'époque de l'arrivée des colons."

Des images époustouflantes pour montrer la cicatrice de la frontière

Tomas van Houtryve dans le film "Far West, l'histoire oubliée"
Tomas van Houtryve dans le film "Far West, l'histoire oubliée"
- Les Films d'ici

Tomas van Houtryve : "Cette terre de l'Ouest me touche beaucoup. J'y très attaché et cela a inspiré beaucoup de western. Mais c'est aussi une terre qui est traversée, cicatrisée par la frontière, et par la politique. C'est pourquoi j'ai sauté le pas de la photo à la vidéo.

J'ai choisi des images aériennes car il y a des endroits qu'on ne peut pas voir par terre, si on peut raconter les choses.

Mais il y a un élément qui coupe en deux l'espace pour avoir ces villes aux noms hispaniques comme Los Angeles, San Francisco… On n'y pense même plus aujourd'hui, mais bien sûr, elles ont été fondées par une société qui existait avant la conquête du West par les Anglo-Américains."

Anastacio Bonnie Sanchez - San Geronimo dans 'Far West, l'histoire oubliée'
Anastacio Bonnie Sanchez - San Geronimo dans 'Far West, l'histoire oubliée'
- Tomas van Houtryve/Les Films d'Ici

Un président noir bien avant Obama

Mathilde Damoisel : "Bien que fan de western, moi-même, je vais casser un mythe : "Fort Alamo", est la bataille mythique de la révolution du Texas, en 1836. Jusqu'alors, le Texas fait partie du Mexique. Et comme dans beaucoup de ces provinces mexicaine du Nord, des migrants, des immigrants anglo-américains, s'installent pour obtenir des terres et prospérer. Puis viennent s'installer des planteurs de coton. Qui dit planteurs de coton, dit esclavage.

On a effacé là de l'histoire un point important. Quand le Mexique est devenu indépendant de la couronne d'Espagne en 1821, les Lumières sont rentrées dans cette région. Le Mexique indépendant a aboli l'esclavage bien avant les Etats-Unis et la guerre de Sécession. Le premier président mexicain Vincente Guerrero est afro descendant : Il est métis noir et descendant d'esclaves."

Tomas van Houtryve : "Ce qui veut que si on a grandi en Californie, ou au Texas, notre premier président de descendance africaine n'était pas Barack Obama. Mais Vincente Guerrero, que l'on a complètement oublié !"

Mathilde Damoisel : "En 1836, les Anglo-américains se rebellent contre le Mexique indépendant. Non pas pour la liberté, mais contre abolition de l'esclavage, qui risque de remettre en cause l'économie du coton et c'est inacceptable pour ces grands planteurs."

Une réécriture de l'Histoire qui perdure

Tomas van Houtryve : "Au Texas, il y a un projet de loi pour interdire d'enseigner toute critique sur la révolution au Texas. Un des historiens interrogé dans notre documentaire constate désolé : Les Américains sont venus se battre au nom de la liberté. Quelle liberté ? Celle d'imposer leurs valeurs, leur façon de vivre, y compris l'esclavage."

Le documentaire

"Un photographe confronte l’amnésie collective de l’Amérique, et dévoile le passé oblitéré du Far West. À l’heure où un mur s’élève pour isoler les États-Unis du Mexique, il retrace une autre frontière – celle d’avant 1848 et l’annexion de ces territoires mexicains qu’étaient le Texas, la Californie, le Nouveau-Mexique…

Il y rencontre et photographie des hommes et des femmes dont les familles ont toujours vécu là, bien avant l’annexion américaine. Indiens, noirs, hispaniques, métisses : ils n’ont jamais traversé de frontière, mais, comme ils disent, « la frontière les a traversés » et les a rendus à jamais étrangers. Leur histoire a été effacée, leurs mémoires ont été réprimées, mais leur existence défie les mythes fondateurs de l’Amérique, et tous les replis identitaires."

Sur France 5 le 9 janvier à 22h30

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