

L'armée russe est entrée en action contre l'Ukraine sur plusieurs fronts simultanés, ce jeudi, alors qu'une répression sans précédent de la liberté de la presse s'exerce aujourd'hui en Russie.
- Françoise Thom Historienne
- Julien Nocetti enseignant-chercheur à l'Académie militaire de Saint-Cyr, chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et directeur de la chaire Risque cyber à la Rennes School of Business
- Christophe Deloire Secrétaire général de Reporters sans frontières
Vladimir Poutine à la télévision russe. Édition spéciale de l’Instant M ce matin : comment le président russe a pris le contrôle des esprits dans son pays et auprès des populations qu’il entend maintenir sous son influence.
Comment les oligarques qui dépendent directement du Kremlin ont petit à petit avalé la quasi entièreté du paysage médiatique russe.
Comment les journalistes qui tentent d’affirmer leur indépendance sont affublés du statut infamant d’agent de l’étranger.
Comment l’information est devenue propagande, en Russie, excitant la peur, la haine et la paranoïa, préparant le terrain aux opérations militaires voulues par Vladimir Poutine.
Avec :
- Françoise Thom, historienne
- Christophe Deloire, journaliste dirigeant de RSF (Reporters sans frontière)
- Julien Nocetti, chercheur à l'IFRI
Extraits de l'entretien
Des propos glaçants :
Sonia Devillers : "Comment Poutine a armé les esprits afin de procéder à l'opération militaire qu'il concocte depuis des mois ?"
Françoise Thom : "Depuis au moins 2007/2008, les médias russes s'acharnent à semer la haine contre des peuples. D'abord, cela a été les Tchétchènes. Et puis cela a été les Géorgiens, les Baltes. Et puis, surtout, à partir de la Révolution orange, les Ukrainiens et à partir de 2014. La haine s'étend à l'Europe, la haine des États-Unis. Donc, on peut dire que les médias russes en ont fait une véritable éducation à la haine dans la population russe. Poutine a réussi à imprimer sa vision paranoïaque au pays entier et grâce à des médias qui répercutaient ses obsessions.
Concrètement, dans un talk-show du 16 janvier 2022, le "journaliste" Vladimir Soloviov, dit : **"**Qui vous a dit qu'il ne pouvait pas y avoir de vainqueur dans une guerre nucléaire ? Moi, je pense qu'il peut y avoir un gagnant : la Russie".
Sur le plateau, un expert invité ajoute : " En cas de guerre nucléaire, la Russie subira des dommages, mais les États-Unis seront détruits. Cette terre n'existera plus, tout comme l'Europe. La Russie restera, tandis que pendant mille ans, rien ne poussera sur le territoire des États-Unis.
Toujours dans la même émission M Jirinovski explique calmement que "2021 a été la dernière année paisible pour l'Europe. Les Européens font la fête pour la dernière fois. Champagne, whisky… Une grande tragédie attend L'Europe. Après le début d'un conflit armé en Europe, le nombre de victimes se comptera en millions. On n'aura pas le temps de compter. La décision ne peut être prise que par la force." Et puis, il s'adresse à l'un des spécialistes des États-Unis présents : "Arrête d'aller à New York. Bientôt, cette ville ne sera plus. L'Europe ne sera plus. Il n'y aura plus de Kiev, Varsovie, ni de Londres…"
Vladimir Poutine avait fait campagne en 2018 là-dessus. La couleur était annoncée depuis longtemps."
La mainmise de Vladimir Poutine
Sonia Devillers : "Comment un seul homme a un pouvoir quasi-total sur les médias ?"
Christophe Deloire : "Vladimir Poutine a coupé son pays du monde et de la réalité.
Sa stratégie, tenait en trois points :
- Premièrement, il réduit le journalisme digne de ce nom à la portion congrue.
- Deuxièmement, il utilise le vide pour diffuser sa propagande avec des médias à sa solde.
- Et troisièmement, il procède à la déstabilisation des démocraties via les médias à destination de l'étranger."
Une armada juridique
Sonia Devillers : "Comment fait-il pour réduire le journalisme ?"
Christophe Deloire : "Il y a une multiplication de moyens :
Des législations extrêmement répressives, avec des lois dans tous les sens, extrêmement vagues, mais qui permettent de manière arbitraire de persécuter les journalistes.
Une censure massive sur Internet, des pressions, notamment financières, y compris vis à vis des annonceurs dans la presse indépendante.
Et puis des nouvelles dispositions comme cette loi sur les agents de l'étranger adoptée en 2014 vis à vis des ONG, mais qui a été élargi aux médias en 2019.
Il y a eu 116 médias, ou journalistes, qui ont été accusés d'être des agents de l'étranger.
Il y a eu l'ONG Mémorial, qui a été dissoute récemment. On peut se dire que sanctionner l'espionnage est légitime, mais En fait, il ne s'agit pas du tout de cela.
On est dans la situation où des médias qui, par exemple, ont des abonnés étrangers peuvent être pour cette raison seulement accusés d'être agent de l'étranger. Mais aussi si un journaliste a fait une intervention sur des médias étrangers, pour avoir touché une subvention de l'Union européenne, ou même, pour avoir un responsable de son site Internet basé aux Pays-Bas…"
Des aveux forcés qui se multiplient
Christophe Deloire : "En Crimée, le journaliste Vladimir Yesipenko a été arrêté par le FSB, les services de renseignement russes.
Il a été torturé, et il a dû faire à des aveux publics à la télévision.
Dans ces confessions forcées, il devait dire qu'il était un agent ukrainien. En réalité, son dossier est extrêmement vide : à la fois il était un espion, mais il avait soit-disant une bombe dans sa voiture. Il est rare que des espions aient des bombes dans leur voiture ! Le 17 février dernier, il a été condamné à 6 ans de prison !"
L'offensive est aussi numérique
VKontakte, l'équivalent de facebook est sous la houlette de Gazprom, une entreprise du secteur de l'énergie qui contrôle déjà une cinquantaine de médias, dont 38 chaînes de télévision...
La suite est à écouter…
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