Noëlle Herrenschmidt : profession aquarelliste-reporter

Noëlle Herrenschmidt dans l'Instant M avec Sonia Devillers
Noëlle Herrenschmidt dans l'Instant M avec Sonia Devillers ©Radio France - Anne Audigier
Noëlle Herrenschmidt dans l'Instant M avec Sonia Devillers ©Radio France - Anne Audigier
Noëlle Herrenschmidt dans l'Instant M avec Sonia Devillers ©Radio France - Anne Audigier
Publicité

Dessinatrice d'audience depuis plus de trente ans, Noëlle Herrenschmidt assiste quotidiennement à son dernier procès, celui des attentats du 13 novembre.

Tous les jours, elle fait face aux prévenus et aux témoins, aux rescapés, aux magistrats, aux avocats. Dans ce prétoire hors norme bâti pour ces mois d'audience historique tous les jours, elle déplie sa petite boîte d'aquarelle et couche sur un papier blanc épais et égrené les visages de la justice. Elle a 82 ans. Elle est la doyenne des dessinateurs en activité pour La Presse. Elle a croqué quelques-uns des grands rendez-vous du vingtième siècle. Le procès du nazi Klaus Barbie. Elle y était. Vous le savez, depuis 1954, les appareils photo et caméras sont bannis des tribunaux. Les dessinateurs sont donc nos yeux à l'intérieur des prétoires. Alors, comment se renouvellent-ils d'une audience à l'autre ? Comment traduire l'émotion qui étrangle le public lors des témoignages de victimes ? Comment dessiner leurs mots ? Le crime contre l'humanité, a-t-il un visage ? Le terrorisme, a-t-il un visage ? La douleur, a-t-elle un visage ? Le droit, a-t-il un visage ?

La dessinatrice-reporter Noëlle Herrenschmidt est l’invitée de Sonia Devillers dans l’Instant M pour parler de son métier si particulier et pourtant si essentiel. Depuis le 8 septembre dernier, elle travaille sur le procès du 13 novembre 2015. Neuf mois d'audiences, 1800 parties civiles, 330 avocats, 20 accusés et 10 dessinateurs dont elle fait partie. À 82 ans, c’est son dernier procès. "Je suis absolument enchantée de finir sur ce procès énorme".

Publicité

Noëlle Herrenschmidt a eu une autre vie avant d'être dessinatrice d'audience. Auparavant, elle était dessinatrice dans les magazines Okapi Astrapi et Pomme d’Api pour le groupe Bayard Presse. À partir des années 1980, elle découvre le reportage en tant que journaliste, avant de couvrir son premier procès en 1987 : celui de Klaus Barbie. Elle a alors 47 ans. Cette expérience a été pour elle une révélation. "C’était à un moment où je cherchais une deuxième voie. J'entre au palais de justice de Paris. Je suis assise. Je vois le procureur parler. J'ai un choc et je me suis dit 'ma vieille, tu cherchais ta seconde voie, elle est là'. Et du jour au lendemain, je suis devenue dessinatrice d'audience. La cinquantaine est formidable pour démarrer. On se connaît, on sait ce qu'on ne veut pas en théorie et à ce moment-là, on peut tout découvrir. C'est l'âge où on réinvente sa vie". À partir de ce moment-là, elle change de profession et se concentre sur le dessin-reportage. Elle va découvrir l'aquarelle et devenir une dessinatrice d'audience reconnue, qui couvre de nombreux procès pour le compte de La Croix ou du journal Le Monde, les plus connus étant celui de Touvier, Papon, Dumas, mais aussi le procès du sang contaminé, etc.

Le reportage

Noëlle Herrenschmidt insiste sur le fait que son métier consiste à retranscrire en dessin ce qu’elle voit. Dès lors, il n’y a pas de place à l’interprétation : "Il ne faut pas oublier que je dépeins ce que je vois. Je ne vais pas faire un méchant". Elle explique qu’il est difficile de coucher sur le papier la réalité d’une personnalité ou d’un instant au tribunal.

C'est ça la force du dessin, c'est d'arriver à saisir au travers de ce que je vois, ce que cette personne est en réalité.

Ce qui lui plaît particulièrement, c’est de ne pas savoir comment va se dérouler une audience. "On ne sait jamais ce qui va se passer pendant une audience. On peut toujours lire le programme. On peut toujours s'asseoir à la place qu'on aura choisi. Et puis, il va se passer, ce qui va se passer". Par conséquent, elle ne sait jamais ce qu’elle va dessiner à l’avance. Elle dessine aussi l’évolution progressive des émotions qui passent sur le visage des gens du tribunal. "Derrière toute personne et tout accusé, on espère découvrir une humanité qui était cachée jusqu'à présent. C'est ça la force du dessin, c'est d'arriver à saisir au travers de ce que je vois, ce que cette personne est en réalité".

J'ai dessiné et j'en suis fière un Klaus Barbie ému.

Selon elle, l’essence du reportage est "d'arriver à saisir un moment, des paroles". Lorsqu’elle travaille, elle écrit de la main droite et dessine de la main gauche en même temps. "Nous sommes les passeurs de la parole, les dessinateurs. Donc, le dessin va s'accompagner de mots. Je suis journaliste, je suis reporter, donc les mots sont essentiels. Et même si le dessin traduit les mots, quelquefois, il y a des phrases tellement fortes que ces phrases imposent qu'on les écrive. Tout est facile".

Le dessin

Les dessins de reportage ne sont pas nécessairement beaux pour Noëlle Herrenschmidt. C’est le caractère instantané de leur métier. Elle qualifie l’instant où elle dessine comme une "osmose" entre ce qu’elle produit sur le papier, ce qu’elle entend et ce qu’elle voit. Pour elle, il ne faut pas s’encombrer de détails, mais aller à l’essentiel. "L’aquarelle donne l'idée générale et le crayon va donner la forme du détail". Pour que ceci soit réussi, elle explique qu’il faut avoir confiance en soi et en son matériel. "Je fais confiance à ma main, je fais confiance à mon crayon et je fais confiance au travail que je suis en train de faire et que le fait depuis 40 ans. Il faut faire confiance aussi à l'aquarelle. Quelquefois, elle ne fait pas ce que je voudrais. Tant mieux. C'est elle qui a raison".

Il faut qu'il y ait une liberté totale. Ce qu'il faut, c'est exprimer ce qu'on voit, ce qu'on ressent et ce qu'on va faire passer au lecteur.

Toujours dans l’idée de saisir l’instant, Noëlle Herrenschmidt évoque son rapport avec l’aquarelle. "L'aquarelle est ma complice". Pour elle, c’est la peinture la plus en adéquation avec son travail, car elle se fait rapidement. Elle l’a découverte lors d’un reportage à Hong Kong. "Du jour au lendemain, je suis devenue aquarelliste. C'est venu tout seul. Elle a été ma compagne. On s'entend à merveille. L'aquarelle est ma complice et je continue maintenant de lui faire confiance". Pour autant, l’artiste souligne qu’il faut l’utiliser avec parcimonie. Elle l’utilise à titre personnel pour souligner les détails importants. "Je tiens énormément au blanc. Le petit détail important, je le mettrai en couleur".

Noëlle Herrenschmidt admet que lorsqu’elle couvre des procès historiques, particulièrement longs comme celui du 13 novembre 2015, il est difficile de se renouveler. "Il faut trouver des axes différents. Dans un reportage aussi long, on peut se permettre de dessiner tout le décor. Tout l'entourage, de façon à ce que le lecteur soit dedans. Le but d'un dessin, c'est que les gens se retrouvent là où j'étais". Selon elle, un procès se déroule dans un lieu clos toujours identique, où plein de gens différents travaillent ensemble.

Il se passe des choses partout.

Elle insiste sur son assiduité. La dessinatrice vient en effet presque tous les jours. "A chaque fois qu'on manque une audience, on se dit justement, c'est là qu'il aurait fallu être". Après 35 ans d’exercice, Noëlle Herrenschmidt va se retirer. Doyenne de sa profession en France, elle évoque les dessinateurs-reporters plus jeunes qu’elle. "L'avenir des dessinateurs d’audience est assuré. Ils sont absolument merveilleux".

Aller plus loin

Retrouvez tous nos contenus concernant le procès du 13-Novembre.

L'équipe