

Claire Sécail, chercheuse au CNRS et spécialiste des médias, analyse depuis la rentrée les émissions de Cyril Hanouna et leurs rôles dans l’ascension des idées d’extrême droite. Elle est au micro de l’Instant M pour parler du traitement de la campagne présidentielle dans « Touche pas à mon poste ! »
- Claire Sécail Chargée de recherches au CNRS, Laboratoire Communication et Politique
Des vidéos d'Eric Zemmour diffusées dans "Touche pas à mon poste" sans même que l'animateur-producteur de l'émission ne les ai regardées… Sur Cyril Hanouna, on entend souvent n'importe quoi. Mais vraiment n'importe quoi. Tout simplement parce que la plupart de ceux qui en parlent ne le regardent pas. Ou bien ne connaissent qu'une poignée de séquences circulant sur les réseaux… Pour une fois, mon invitée a tout visionné. Tout, pendant des mois. On ne s'attendait pas forcément à ce que ce travail soit effectué par le CNRS.
Pourtant, il était temps que nos chercheurs se retroussent les manches et livrent une analyse précise, chiffrée, scientifique, des talk-shows de la chaîne C8 qui ont complètement muté. « Touche pas à mon poste », l'émission causait à l'origine de la télé, elle s'est largement politisée.
S'y sont ajoutées l'hebdomadaire « Balance ton post » et les émissions électorales, "Face à Baba". Une machine de télé qui brasse toute l'actualité.
Alors, à qui profite ce virage ? À Eric Zemmour, affirme le CNRS, statistiques en main.
Extraits de l'entretien
Une enquête du CNRS
Claire Sécail : "C'est une recherche collective. J'ai choisi au printemps dernier de travailler sur Cyril Hanouna et ses émissions TPMP, sa quotidienne. Ma recherche a débuté au mois de septembre, et se terminera au 22 avril. Ce que je livre est un résultat intermédiaire. J'ai regardé 210 heures d'émission dont quelques Face à Baba et quelques Balance ton poste. Pour compter, j'intègre dans mes calculs des paroles très négatives à l'endroit de certains candidats, alors que le CSA, ne compte que le temps favorablement accordé à un candidat."
Le gagnant est Eric Zemmour
Sonia Devillers : "L'extrême droite à elle seule (Éric Zemmour, Marine Le Pen, Florian Philippot, Dupont-Aignan) représente presque 53 % du temps d'antenne politique des talk-shows. Vous dites qu'Eric Zemmour occupe à lui seul 44,7% du temps au sein des temps d'antenne politique consacrés à l'extrême droite. Marine Le Pen recueille six fois moins de temps d'antenne que son concurrent direct."
CS : "C'est le premier enseignement de mon enquête et il m'a beaucoup surprise. Je n'imaginais pas trouver une telle porosité avec la stratégie Bolloré dans une émission de divertissement de Cyril Hanouna. L'origine le nom est "Touche pas à mon poste", un hommage au slogan de SOS Racisme, "Touche pas à mon pote".
Quand Eric Zemmour s'est déployé sur les différentes chaînes du groupe Bolloré, le Rassemblement National a vu le risque, par rapport au public type de Cyril Hanouna : un public populaire composé de jeunes, des gens peu politisés, souvent anti-système. Le parti a envoyé des soutiens faire les contre-feux. Cyril Hanouna le disait encore hier : "Dès qu'on invite quelqu'un du Rassemblement National, on nous dit oui."
Cyril Hanouna a vu les chiffres et les a contestés à l'antenne hier
SD : "Pour lui, le temps d'antenne consacré à Jean-Luc Mélenchon est le premier : 31%, puis à Emmanuel Macron, et en troisième position : Eric Zemmour."
CS : "Les données du temps d'antenne en période électorale, sont donnés par chaîne. Donc, effectivement, il y a forcément un décalage. Moi qui travaille sur TPMP pour le volet quantitatif, je n'ai pas les mêmes chiffres. En revanche, je constate sur la période récente un petit rattrapage. Auparavant Valérie Pécresse comptait pour 3% du temps d'antenne."
Un clientélisme de la Macronie
SD : "Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Education Nationale a été reçu avec beaucoup de déférence".
CS : "Il n'est pas le seul. Marlène Schiappa peut être invitée quand elle veut. Au moment du reportage d'Envoyé spécial sur l'Affaire Nicolas Hulot, elle a pu, quelques heures avant la diffusion, essayer de donner sa version. Elle a pu compter sur Cyril Hanouna pour relayer sa parole sur un plateau composé de féministes où elle a été mise en difficulté.
SD : "Il y a eu les émissions co-construites avec Elisabeth Borne, ministre du Travail. Il y a eu le programme du gouvernement transformé en émission Un jeune, une solution sur les antennes de C8 avec Agathe Auproux…"
CS : "Les ministres peuvent donner leurs conditions, mais pas les porte-paroles des partis. En cela l'émission a anticipé la bipolarisation de la campagne entre extrême-droite et La République en marche. Un effet qui intervient très tôt, au moment où Cyril Hanouna se donne le rôle de médiateur du débat électoral. En fait, il va déjà réduire à outrance l'offre électorale, puisque n'émerge que les deux principales forces antagonistes : l'extrême droite et le camp présidentiel, Eric Zemmour et Emmanuel Macron."
Les autres candidats
"Les différents candidats s'inscrivent dans des registres narratifs qui vont leur être accolés, et dont il est difficile de sortir."
Le cas d'Anne Hidalgo est très spécifique. Elle est installée dans un registre où elle n'est que raillée, moquée parfois sur des éléments personnels que Cyril Hanouna compense parfois avec des qualités relationnelles en ramenant toujours la chose comme un phénomène compensatoire. Il explique qu'"en fait, elle est très sympa".
Cyril Hanouna ne prononce jamais le mot "extrême droite"
Sonia Devillers : "Il ne dit jamais le terme d'extrême droite et compense toujours les propos de chroniqueur par "Il est génial, on l'adore, on l'aime bien comme ça, c'est pour ça qu'il nous fait marrer…"
CS : C'est une émission conversationnelle et relationnelle, donc elle ne va pas mettre en avant des idées. Elle va plutôt renforcer le capital sympathie ou défaire des réputations.
Tous les soutiens d'Éric Zemmour "sont drôles, sont sympa" et on évacue complètement le fond des idées.
Et tandis qu'Anne Hidalgo est disqualifiée en permanence, par son bilan à la mairie de Paris, les écologistes sont complètement invisibles dans l'émission, ou sont ramenés aux scandales sexuels autour de Nicolas Hulot.
Jean-Luc Mélenchon, un cas à part
CS : "Jean-Luc Mélenchon et ses proches se sont installés dans l'économie relationnelle de Cyril Hanouna. Depuis 2019, Raquel Garrido est devenue chroniqueuse dans Balance ton poste. Elle a cru qu'elle pouvait faire avancer les idées. Le rôle des représentants de la France Insoumise dans l'émission est celui de contradicteur de prédilection d'abord et avant tout à Eric Zemmour.
Et ce parce qu'il y a un effet de cadrage massue. C'est ce qui compte dans cette émission : comment est formulée la question, et avec qui on en discute…
Le problème est que les invités de la France Insoumise sont vraiment un instrument fonctionnel de l'émission."
Autour d'Eric Zemmour
CS : "Hanouna expliquait hier qu'Eric Zemmour est le seul à faire des polémiques. Alors qu'au début de l'année, il disait vouloir donner à comprendre les enjeux de l'élection à son public. C'est assez révélateur du contenu offert à son public et de la vision qu'il a de lui-même. Il sous-entend qu'on ne peut pas offrir un vrai débat au public populaire d'une émission qui touche des jeunes. Donc, il y a un grand décalage entre le discours, le récit de soi et les contenus de son émission."
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