

Photo-reporter aguerri, Patrick Chauvel est aujourd'hui au centre du 69e album de l'association Reporters sans frontières. Il fait le récit, au micro de l'Instant M de ses voyages au cœur des conflits.
- Patrick Chauvel Reporter-photographe de guerre, écrivain et réalisateur de documentaires
Un immense photo reporter
Juste avant de partir pour l’Ukraine, il nous a accordé cet entretien. Écoutez-le raconter 50 ans de guerre derrière l’objectif. Et puis foncez chez votre marchand de journaux, acheter 9,90 euros le nouvel album de "Reporters sans frontières", 100 photos pour la liberté de la presse. Ces cent photos-là, prises au Vietnam, au Salvador, en Iran ou en Irlande du Nord, sont signées Patrick Chauvel. Il en a rapporté quelque 400 000 du front, il en a choisi 100. Cet album raconte la mort, la peur, les explosions surprises, les balles perdues, les naufrages, les blessures, les arrestations, les enlèvements dont il a lui-même été victime.
Il est intéressant de constater que pour certaines photos, on s'aperçoit qu'elles nous racontent quelque chose qu'on n'avait pas forcément considéré au moment même.
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Sonia Devillers a feuilleté à ses côtés, pendant l'émission, cet album en commentant quelques-unes de ses photos les plus frappantes. Patrick Chauvel se trouve actuellement en Ukraine sur le front, il est parti là-bas pour "Paris Match" et a accordé cet entretien juste avant son départ.
Vietnam, 1968
Il précise qu'il a couvert cette guerre sans accréditation. Il a fallu attendre l'Irak pour voir les conditions d'accès aux journalistes se généraliser au front et sur le terrain : "À l'époque, c'était très facile puisque les Américains étaient vraiment ouverts aux journalistes. Ils ont été parmi les premiers à réaliser la puissance de la presse. Il y avait une conférence de presse tous les jours à 17 h à l'aéroport international de Saïgon où plein de journalistes se réunissaient pour visualiser une carte qui montrait l'état des opérations.
Les Américains dénonçaient eux-mêmes les massacres, effectuaient des voyages-presse pour montrer les cadavres d'enfants et de femmes tués en faisant monter avec eux des journalistes.
Irlande du Nord, 1981
C'est un enterrement à Belfast, l'enterrement d'un membre de l'IRA mort à 25 ans après 73 jours de grève de la faim. La photo est saturée par la foule. On voit le cercueil, un drapeau avec plein d'hommes massés :
"Ce sont surtout des visages, avec une couleur caractéristique de l'époque des années 1970, et ce côté légèrement bleuté désaturé de l'Irlande, le temps pluvieux, le ciel gris. Et puis ces visages d'Irlandais formidables mais fermés, tristes, tragiques, en colère, résolus à se battre jusqu'au bout
Une photo qui confie que photographier une guerre, ce n'est pas seulement des chars, des blessés, des affrontements, mais aussi une grève de la faim, une résistance de prisonniers soupçonnés sans procès de terrorisme"
Cambodge, 1974
Il existe notamment une photo du reporter lui-même, âgé de 24 ans, blessé et porté par les soldats cambodgiens :
"Il y a un obus de mortier qui m'a projeté en l'air et m'a percé à quatre endroits du corps. C'est une photo de l'explosion de moi par terre avec les soldats qui m'embarquent dans l'ambulance".
Une autre photo : celle d'un photographe cambodgien au sol, qui se bouche les oreilles, avec ses deux appareils, avec le visage totalement crispé tant les tirs de roquettes sont bruyants.
Il y a aussi les regards de ceux qui ont grandi dans leur pays natal et qui n'en repartiront pas, mais ont contribué à photographier un drame qui se produit chez eux, poursuivis par leur gouvernement ou condamnés à mort par l'opposition. Le reporter explique alors qu'il est "sous un bombardement effectué par des Khmers rouges" et qu'il a souhaité "rendre hommage au courage des photographes locaux Cambodgiens qui ont pratiquement tous disparu, car tués quand les Khmers rouges sont arrivés à Saïgon.
Érythrée, 1975
Patrick Chauvet a traversé un désert pendant trois semaines dans des conditions terribles avec son épouse. Arnaud Hamelin faisait un film pour l'émission de son père et il était supposé être l'ingénieur du son : "On a fait 900 km à pied dans une chaleur terrible, avec un froid terrible le soir à la frontière du Sud-Soudan jusqu'à la capitale et le retour".
À un moment donné, on a vu des cavaliers locaux, magnifiques arriver avec des sabres et on se serait crus comme dans "Lawrence d'Arabie."
Salvador, 1980
Il assiste cette fois aux funérailles d'un archevêque suite à l'explosion d'une grenade qui aura fait 38 morts, provoqué des mouvements de foules incroyables et où les gens ont été piétinés à terre. Une photo en noir et blanc où il n'y a pratiquement plus personne : "Tout le monde a fui, précédé d'un mouvement de panique. Il devait y avoir à peu près 80 000 personnes sur la place serrées comme des sardines. Jusqu'à ce qu'un type fasse exploser une grenade sans sa main. Au premier plan, un type à quatre pattes en train de tirer avec un petit pistolet avec, au fond de la photo, deux personnes qui soulèvent un corps".
On ne voit que des papiers par terre et des chaussures abandonnées. En réalité le vide traduit la masse des gens qui étaient là juste avant, la panique, sans qu'il n'y ait plus personne à photographier.
Bosnie, 1992
Une photo terrible, en couleurs d'hiver avec un blindé des Nations unies qui croise d'une manière complètement indifférente le corps d'une femme qui gît sur la route. Il y a un contraste entre cette mare de sang et cette femme innocente, sa veste en velours vert impeccable, le jean, les bottines, le cartable au sol :
PC : "J'étais avec un copain photographe. On a vu cette femme tenter de traverser et on l'a vu tomber. On a foncé avec notre bagnole pour faire barrage avec le sniper posté. Au départ, ce n'était pas du tout pour faire une photo, c'était pour récupérer cette femme qui pouvait être blessée. Je suis sorti à quatre pattes pour vérifier si elle était vivante, elle respirait encore. Mais à ce moment-là, un convoi de l'ONU est arrivé. Je leur ai fais signe pour qu'ils nous défendent et nous prêtent assistance. Ils peuvent protéger les gens, mais à condition qu'on leur tire dessus pour répondre… Ils étaient extrêmement frustrés d'être dans l'incapacité d'agir".
En colère, je lève l'appareil photo et photographie le dernier véhicule qui passe pour montrer l'inutilité de cette mission.
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