

Le journaliste et essayiste Daniel Schneidermann est au micro de l'Instant M pour parler de son nouveau livre, « La Guerre avant la guerre, 1936-1939. Quand la presse prépare au pire » où il analyse les mécanismes de la presse qui permettent l’installation de la guerre.
- Daniel Schneidermann Journaliste, fondateur d'Arrêt sur images
En France, la guerre d’Espagne fera la Une des journaux tous les jours. Il faut relire notre presse tricolore entre 1936 et 1939. Il faut mesurer la violence des débats publics face à la gauche au pouvoir, la cruauté des insultes, l’antisémitisme de l’extrême-droite, ses godilles face à la montée en puissance des fascismes européens : Hitler, Mussolini, Franco, face à la menace militaire.
Vertige de l’histoire – tant de résonances avec ce que l’on vit ces jours-ci. Daniel Schneidermann s’était déjà penché sur la presse étrangère en 1933 sourde à la fondation de l’Allemagne nazie. Il réitère avec les trois années qui ont précédé la guerre.
Il écrit un livre sur la mauvaise foi et l’aveuglement des journalistes. Féroce puisqu’il pointe la dérive des forces réactionnaires françaises qui finiront par appeler de leurs vœux un régime autoritaire. Féroce – et je ne m’y attendais pas – pour la presse dite modérée et pour la presse communiste. Le journaliste, créateur du site de critique des médias "Arrêt sur images" publie un second livre sur la presse des années 1930 "La guerre avant la guerre 1936-1939 : quand la presse se prépare au pire". Il passe notamment en revue tous les grands titres de l'extrême droite française de l'entre-deux-guerres que sont "L'action française", "Gringoire", "Je suis partout"…
Pacifisme, attentisme complaisant ou l'Hitléro-pacifisme
Il revient sur la réaction des forces réactionnaires françaises des années trente, la réaction face aux provocations d'Hitler qui s'agitent entre 1936 et 1939. Pour cette presse réactionnaire, les provocations hitlériennes sont la faute à la décadence française, elles sont dues à la faiblesse de l'Etat français. Ce que le journaliste appelle notamment "l'Hitlero-pacifisme" qui est "la ligne de conduite de l'extrême droite, et de la presse complaisante écartelée entre son nationalisme traditionnel qui la pousserait vers la fermeté envers les provocations nazies pour défendre les intérêts de la patrie et une sympathie pour les régimes fascistes qui la pousse en sens inverse.
Il y a des numéros totalement hallucinants où tout est bon pour ne pas faire la guerre à Hitler. On les voit même se joindre aux pacifistes de gauche traditionnels par intérêt idéologique.
Ils se tiennent tous à une grille de lecture idéologique. La faute est imputée à la politique socialiste du Front populaire".
Le lynchage du ministre Roger Salengro par la presse réactionnaire
Des pages de la presse française de l'entre-deux-guerres qui signent comme un vrai vertige de l'histoire. Daniel Schneidermann revient en détail sur le suicide de Roger Salengro, en 1936, ministre de Léon Blum. La gauche est au pouvoir et il est accusé à tort d'avoir déserté et trahi pendant la Première Guerre mondiale. Il a la malchance de se défendre très mal, et d'être la cible de violentes attaques par la presse d'extrême droite et la presse antisémite. C'est ce que le journaliste constate en feuilletant les pages de l'hebdomadaire "Gringoire" :
Ce que j'ai découvert de l'intérieur, c'est la mécanique du lynchage
DS : "Comment, semaine après semaine, "Gringoire" harcèle le ministre de l'Intérieur du Front populaire Salengro en multipliant les fausses accusations. Le quotidien fabrique ainsi en temps réel une fausse information.
Une presse qui contourne la loi et poursuit ses propos incitant à la haine
Un grand débat s'ouvre sur la responsabilité de la presse, sur la diffamation où on se demande s'il faut durcir la loi de 1881, changer les modalités des procès faits à La Presse. Ce qui aboutit au vote des décrets-lois Marchandeau, qui interdisent les propos incitant à la haine raciale dans la presse. Daniel Schneidermann raconte "qu'il aura fallu trois ans pour que la loi marchandeau mette un terme aux abjections antisémites les plus criantes de la presse d'extrême droite, qui contourne cette loi interdisant les propos antisémites. Mais à défaut d'écrire sur "le péril juif", ils vont écrivent sur "le péril singe" comme Brasillach."
Une Presse modérée elle-même passive
La grande passivité de la presse dite modérée - dont le titre le plus connu est "Paris-Soir" - face aux attaques violentes, permanentes et répétées. "Paris-Soir" reste très silencieux quand bien même, c'est le premier grand journal populaire français. Le journaliste décrit une droitisation massive de tout le paysage médiatique français de l'époque tant il remarque "une homogénéité idéologique entre la presse d'extrême droite et la presse modérée, qui rejoint d'une manière spectaculaire la presse d'extrême droite dans la contestation des mouvements sociaux".
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