

Les photos étant interdites dans les prétoires, Valentin Pasquet (France Inter) et Benoît Peyrucq (AFP) croquent jour après jour les audiences du procès des attentats du 13 novembre. Le dessin, objet d'information, mais aussi vecteur d'une très complexe palette d'émotions.
Aucun avocat, aucun magistrat, aucun journaliste n’a jamais vécu pareil procès. Les attentats du 13 novembre sont jugés en ce moment à Paris et, avant que ne reprennent les audiences cet après-midi, l’Instant M invite à sa table deux des dessinateurs qui couvrent cette entreprise de justice hors-norme.
Depuis 1954, les appareils photos et caméras sont bannis des tribunaux. Les dessinateurs sont donc nos yeux à l’intérieur du prétoire. 9 mois de croquis. Comment se renouveler ? Comment traduire l’émotion qui a étranglé le public lors des témoignages de victimes ? Comment dessiner les mots, la foule, les familles entières ? Comment représenter des assassins qui n’en sont pas moins des êtres humains ? Le crime a-t-il un visage ? Le terrorisme a-t-il un visage ? La douleur a-t-elle un visage ? Questions sur l’impartialité du dessin et sur la place du dessinateur.
Extraits de l'entretien
Il y a des dessins, j'imagine, qui exigent une immense rapidité dans ce que vous faites, mais qui sont quasiment des instantanés.
Benoit Peyrucq : Oui, c'est attraper au vol un instant. C'est vraiment ça. Quand un accusé ou quelqu'un qui vient à la barre, ou lève la main, c'est important. Il faut vraiment saisir les moments les plus importants de l'audience.
Où êtes-vous installé ? Est-ce que la place où l'on vous installe est importante ?
B.P : Quand vous êtes près, ça vous permet avec votre façon de travailler, de représenter la personne. C'est pour ça qu'on a des places un peu spéciales. Pour ce procès [du 13 novembre], par exemple, on est privilégiés, et comme il n'y a pas d'images, qu'on ne peut pas prendre de photos, on est les seules images, alors il faut qu'on soit placés correctement pour pouvoir raconter.
Est-ce que le crime a un visage ?
B.P : Absolument pas. On est là juste pour montrer, pour raconter.
On est là pour retranscrire ce qu'on voit. Pas pour juger avec nos crayons.
Avez-vous beaucoup de pouvoir sur les visages que vous représentez?
Valentin Pasquier : Oui, c'est vrai. Souvent on me dit : "Ah oui, c'est vrai, tu fais les caricatures du procès ou de tel ou tel procès." C'est vrai que j'ai tendance à reprendre ces gens-là. On a un peu un travail qui se compare à celui des photographes.
La personne est devant nous. Nous n'avons pas à la caricaturer ou à forcer tel ou tel trait pour la rendre plus appréciable ou moins appréciable. On essaie de copier-coller avec notre sensibilité. On essaie d'être le plus le plus réaliste possible, d'essayer de coller à la réalité sans caricaturer.
Alors évidemment, c'est difficile de rester neutre parce que vous êtes vous-même parmi le public, dans le prétoire.
B.P : Les témoignages des parties civiles, je trouve que c'est très particulier. Ce sont les moments les plus difficiles pour moi. Je crois que j'ai passé ma journée à pleurer discrètement parce que ça me touche.
Ce qu'on doit montrer dans le dessin c'est ça. C'est par exemple si ces familles qui viennent à la barre avec cette sensibilité, cette force de témoignage, cette détresse.
Tout le monde a été touché ce soir là et je trouvais ça intéressant de faire des portraits, des portraits de groupe.
Vous étiez préparé au premier procès criminel que vous avez couvert?
B.P : Non. Mon premier procès, c'était Guy Georges [un tueur et un violeur en série]. J'ai mis beaucoup de temps à m'en remettre. Et après, j'ai décidé d'apprendre à me protéger.
Vous aussi Valentin Pasquier ?
J'ai peut-être eu tendance à sous-estimer cette accumulation. Il ne faut pas sous-estimer la puissance de tous ces témoignages, des gens qui viennent tous les jours raconter leur parcours. J'essaie le soir ou le week end, de totalement faire table rase de tout ça, de tout oublier et de reprendre le lundi. J'essaye de ne pas en parler le week-end.
Il y a ,à la fois une sorte d'instantané qui simplifie la situation pour faire comprendre l'essentiel. Et en même temps, vos dessins sont bourrés de détails. Comment est-ce qu'on balance entre le détail et l'essentiel ?
B.P : En fin de compte, j'essaie de mettre du mouvement dans le dessin.
J'essaye de mettre de la couleur là où il n'y en a plus.
V.P : Oui, au niveau des détails, je pense que c'est en fonction de ce qu'on veut mettre en valeur. Plus on veut mettre en valeur un personnage ou un décor, plus on va le détailler, plus le regard de la personne qui va regarder le dessin va s'attarder sur ce sur cette partie-là. Sinon, au contraire, si on veut effacer un décor par rapport à un personnage, on va le faire le plus le plus vague possible.
Les journalistes, après l'audience, vont écrire leurs papiers. Ils vont dialoguer avec cette illustration qui est la vôtre.
V.P : Finalement, c'est un témoignage qu'on n'attendait pas forcément et qui se révèle très puissant, très fort. Tous les journalistes vont angler leurs papiers dessus et à ce moment-là, faut être incisif et commencer un nouveau dessin. Et puis, ça fera l'illustration, éventuellement, du compte-rendu de la journée.
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