"The Crown" : portrait d'une Angleterre entre conservatisme et modernité

Olivia Colman et Tobias Menzies dans la saison 4 de "The Crown", série Netflix
vidéo
Olivia Colman et Tobias Menzies dans la saison 4 de "The Crown", série Netflix - Netflix
Olivia Colman et Tobias Menzies dans la saison 4 de "The Crown", série Netflix - Netflix
Olivia Colman et Tobias Menzies dans la saison 4 de "The Crown", série Netflix - Netflix
Publicité

La série britannique est de retour dimanche sur Netflix. Au coeur de cette quatrième saison, deux nouvelles femmes face à la Reine : Lady Diana et Margaret Thatcher.

Quatrième saison de « The Crown » à voir dès dimanche prochain sur Netflix. La monarchie britannique en série. Splendeur et déclin d’une idée forte à laquelle se soumettront des générations de souverains et derrière eux, un royaume, un empire. La Reine, à la fois femme à part entière et individu dépossédé de volonté propre, c’est tout l’enjeu dramatique de cette saga particulièrement brillante, signée Peter Morgan. 

Le nouvel opus brosse Buckingham Palace dans les années 1980 et introduit deux nouvelles femmes face à la Reine : Lady Diana, la fragile puissante, et Margaret Thatcher, la puissante fragile. Deux actrices époustouflantes pour le portrait d’une Angleterre plus violemment contrastée que jamais. Entre le conservatisme et la modernité. Entre la misère et la fierté.

Publicité

Eclairage sur cette série avec l'historien Ioanis Deroide.

Pour afficher ce contenu Youtube, vous devez accepter les cookies Publicité.

Ces cookies permettent à nos partenaires de vous proposer des publicités et des contenus personnalisés en fonction de votre navigation, de votre profil et de vos centres d'intérêt.

Retrouvez ci-dessous quelques extraits de l'entretien

Différences de races et de classes

Dans son livre, Ioanis Deroide explique que les séries américaines tiennent à marquer des différences de "race", comme disent les Américains, c'est-à-dire de communauté ethnique d'origine, alors que la série britannique s'appuie sur les différences de classe. Elle explique au micro de Sonia Devillers :

"Dans The Crown, ce qui était surprenant, c'est qu'on avait une série historique qui en parlait peu, de classes, puisqu'on était, en tout cas dans les premières saisons, un peu coincé dans cette bulle monarchique, dans cette bulle de "Royals". Dans cette nouvelle saison, The Crown ouvre ses horizons. C'est un reproche qui avait été fait à la série : qu'est-ce que c'est que cette Angleterre où on va de Buckingham Palace à Balmoral et de tournées du Commonwealth aux résidences luxueuses des uns et des autres ?"

"Upstairs, Downstairs" (1971) : une série charnière dans l'histoire de la série britannique

Ioanis Deroide : "C'est l'ancêtre direct de Downton Abbey et qui, effectivement, met aux prises ceux d'en haut et ceux d'en bas, les maîtres et les valets, dans une grande résidence londonienne. 

Et puis, de manière générale, la fiction britannique s'est toujours distinguée, au cinéma comme à la télévision, en s'intéressant à la working class, aux ouvriers. On pense à Ken Loach évidemment, qui a d'ailleurs commencé par travailler à la télévision, à la BBC. Donc, la fiction sociale, ils savent faire. Et les tensions sociales, ils savent les représenter. Et dans The Crown, on en avait assez peu parce qu'on était justement dans cette bulle." 

Cette quatrième saison voit l'arrivée de Margaret Thatcher

La série insiste sur une détermination et un individualisme chez la Première ministre qui confine à la névrose au point qu'on comprend mal, spectateur aujourd'hui, pourquoi les Anglais l'ont réélu pendant 12 ans. Qu'est ce que l'histoire retient aujourd'hui du bilan de Margaret Thatcher ? 

Ioanis Deroide : "C'est vraiment dans son contexte qu'il faut voir ce succès répété de Thatcher. D'abord, le fait que l'opposition travailliste qui avait été longuement au pouvoir auparavant était largement discréditée à l'orée des années 1980, à cause de la grande crise que traversait le pays. Et puis, il y a un certain nombre de coups d'audace et de chance qui ont profité à Thatcher. On pense surtout aux Malouines. L'intervention militaire dans les Malouines qui est bien représentée dans la série et on voit que sa popularité en sort grandie." 

Gillian Anderson interprète Margaret Thatcher dans la saison 4 de "The Crown"
Gillian Anderson interprète Margaret Thatcher dans la saison 4 de "The Crown"
- Netflix

C'est une Angleterre terriblement affaiblie que va reprendre en main Margaret Thatcher - elle ne cesse de répéter "il faut redonner une fierté à notre peuple". 

Ioanis Deroide : "On voit que le discours passe aussi bien à Buckingham (le mari de la reine, le prince Philip, apprécie d'avoir enfin une femme forte à la tête du gouvernement, lui qui s'était plaint des gouvernements travaillistes dont il ne se sentait absolument pas proche) et auprès d'une partie des classes populaires et face à une opposition très fragilisée, ça suffit pour effectivement faire une longue carrière."

C'est aussi l'histoire d'un empire ?  

Ioanis Deroide : "C'est ce qu'il en reste

Cette question de l'empire traverse vraiment toute la série. Au tout début de la saison 1, quand on découvrait la reine avant même justement qu'elle accède au trône, elle était déjà en train de faire une tournée des pays du Commonwealth. Ça faisait partie justement de ces obligations et on retrouve la question vraiment de loin en loin. La représentation d'ailleurs de ces pays et de ces voyages laisse à désirer. 

Dans cette saison, on entend, en flash-back, un discours que la reine a prononcé jeune et puis défilent des images qui montrent toute cette diversité du Commonwealth. C'est vraiment une espèce de clip publicitaire. 

La question de "ce qui reste de l'empire", c'est une question qui traverse toutes les séries historiques britanniques, de manière générale, toutes celles qui sont centrées sur le XXe siècle. 

Manifestement, elle affronte la question du déclin. On ne peut pas présenter vraiment les choses autrement. Et le déclin, c'est, essentiellement après la victoire dans la Deuxième Guerre mondiale, la perte de l'empire. 

Au coeur de "The Crown" : l'affrontement entre la Reine et la Première ministre

Ioanis Deroide : "C'est quelque chose qu'on retrouve dans toutes les saisons. 

C'est ce qui est intéressait au départ Peter Morgan, le créateur de la série. Au tout début, lorsqu'il a commencé à s'intéresser au personnage de la Reine, ce qui l'intéressait le plus - c'était une pièce de théâtre qu'il avait fait au départ - c'était ses entrevues avec Tony Blair, le Premier ministre à l'époque. Ça a commencé comme ça le projet de The Crown.

Avec Thatcher, il y a un matériau extraordinaire, évidemment. Même si on sait finalement assez peu de choses sur ce qu'elles ont pu se dire au fil des années." 

Emma Corrin est Diana dans la saison 4 de The Crown
Emma Corrin est Diana dans la saison 4 de The Crown
- Netflix

Un autre bras de fer au coeur de "The Crown" saison 4 : Camilla et Lady Di

Un autre face-à-face se joue dans la saison 4 en parallèle : celui de la jeune Lady Diana avec Camilla Parker Bowles (qui était la maîtresse du prince Charles avant, pendant et après son mariage).

 Ioanis Deroide : "Les figures féminines ont toujours été au centre de The Crown puisque, bien sûr, on suit avant tout le règne d'Elisabeth. On avait déjà des figures féminines intéressantes et décalées par rapport à la reine, Margaret, sa sœur principalement. 

Mais c'est vrai qu'on attendait Diana, forcément, puisqu'à partir du moment où on savait que le projet c'était bien de continuer jusque dans les années 1980 / 1990, c'était la figure qui était attendue. 

Et c'est intéressant d'ailleurs de voir comment ça replace le personnage de Charles, qui a été introduit à la saison précédente de manière plutôt sympathique, un peu pathétique. On se dit que le pauvre n'a pas eu toutes les chances, toute l'attention, toute la bienveillance qu'il aurait mérité et il devient beaucoup plus sombre. Dramatiquement, Il y a une redistribution des personnages qui est intéressante."

Diana est femme jusqu'au bout des ongles, jeune femme, puis jeune mère, puis femme épanouie. Ça repose forcément la question du personnage de la reine, c'est-à-dire comment on traite ce personnage aujourd'hui dans une série en 2020.

Ioanis Deroide : "Toute l'ambiguïté est là. Le pitch de The Crown c'est : on va vous raconter la vie d'une femme qui est aussi une institution. Et puis en plus, sur une très longue période. 

Malgré la stabilité qu'elle représente la Reine a aussi évolué au fil des décennies de sa vie. Entre la jeune femme que l'on découvre à la fin des années 1940 et celle qu'on voit là dans les années 1980, il y a aussi des changements qui se sont faits. Et les changements de la société autour d'elle, même s'ils l'atteignent sans doute moins que ceux qui ont pu atteindre la plupart des Anglais. Et donc, on la confronte régulièrement à des personnages qui vont représenter des formes de modernité féminine. Je pense à Jackie Kennedy, qu'on avait croisée brièvement dans un épisode d'une saison précédente. Et là, clairement, c'est le rôle que joue Diana. 

La mise en scène de la vie privée de la Reine 

Longtemps, le public britannique ne s'est pas du tout intéressé à la vie privée d'Elizabeth II. C'est le film The Queen, interprété par Helen Mirren, qui a fait basculer le registre de mise en scène autour de la reine. 

Ioanis Deroide : "Les Britanniques ont l'habitude de représenter en fiction leurs anciens rois. Il n'y a pas de problème. La vie d'Henry VIII, on la connaît par cœur, à travers la fiction de moult manières. Mais effectivement, il ne l'avait pas fait pour leur reine actuelle. Peut être que l'âge venant, le temps est apparu mûr pour faire justement cette fiction, avant que la reine disparaît." 

Il y a quelque chose de très psychanalytique dans cette quatrième saison

Chacun règle ses comptes avec sa mère, son père, ses enfants. Et il y a quelque chose qui revient sans cesse. C'est vraiment l'événement originel, indépassable, qui a fait à la fois la gloire et le malheur de cette famille. C'est l'abdication d'Edouard VIII. Le fait que George VI est monté sur le trône et qu'Elizabeth, qui n'aurait jamais dû être reine, est devenue reine

Ioanis Deroide : "Cette grande bifurcation, elle est rappelée à de multiples reprises dans l'histoire de la série et elle repose toujours finalement la question du père de la famille et du père de la nation. Celui qui a été, celui qui aurait dû être, même si finalement, George VI s'est révélé un roi tout à fait compétent et apprécié de ses sujets dans les heures très difficiles de la Deuxième Guerre mondiale en particulier. Il faut qu'il y ait des ressorts familiaux dans une série comme celle ci. Et là où The Crown s'en tire bien, c'est qu'on est pas trop dans le soap. On n'est pas trop dans le Downton Abbey. On reste un peu ailleurs." 

L'équipe