Joan Baez, c’est la femme de ma vie.
La plus belle âme, le plus beau sourire, la plus belle voix du monde. C’est un regard éminemment éthique posé sur le genre humain. Je l’aime éperdument depuis que j’ai douze ans. Je l’ai vue en concert pour la première fois, il n’y a pas longtemps. Que des baby-boomers dans la salle, genre mes parents. Elle parle bien français. Elle nous désigne ses godasses, d’affreuses baskets. « J’ai tant piétiné dans ma vie, tant de marches, tant de manifs dans que j’ai mal au pied ». Tout l’Olympia éclate de rire. Elle aussi. Le public pense Larzac, 68. Elle pense Mississipi, Vietnam, Chili. Et moi j’pense à ma génération qui porte des baskets depuis qu’elle est née et qui sait même pas qu’elle a des pieds.
Le film n’est pas génial, loin de là. Très classique dans la forme. Mais Joan Baez s’y raconte en dissociant à chaque instant l’icône médiatique, la femme qu’elle fut, celle qu’elle est aujourd’hui. Les archives emportent tout. Forcément. Quand on vit naître le folk à Cambridge, quand on fit ses débuts au club 47, starifiée à 20 ans, quand on fut aussi proche de Martin Luther King, quand on partagea la vie et les tournée de Bob Dylan, quand on épousa David Harris, l’icône des militants pacifistes américains, ça fait des séquences magnifiques. Et puis, les regards croisés du Révérend Jesse Jackson et de David Crosby, ça ne peut qu’être lumineux.
Cette femme dit avoir choisi ses causes, mais pas ses chansons qui sont venues à elles. « Mes chansons et moi, on a bon goût », glisse-t-elle avec malice. Joan Baez confie aussi les crises de panique dont elle fut longtemps victime, sans que personne n’en sache rien. Propulsée si jeune dans la lumière, avec son air madone, elle sortait de scène, irradiée par l’angoisse, revenait, reprenait le morceau à la note près. Nul ne bronchait. Ce n’est ni le visage, ni le timbre de Joan Baez que j’aimerais avoir à 76 ans. C’est pouvoir parler de moi comme elle se regarde elle, au bout du chemin, avec maturité, humour et sérénité. C’est rare d’aimer une figure pour ce qu’elle a été, toute entière dans sa vie autant que pour la façon dont elle a vieilli.
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