Pratiques sexistes et humiliantes, bizutages : dans l'enfer des écoles de commerce

Une étudiante en première année se fait bizuter, le 09 septembre 2010 à Lyon.
Une étudiante en première année se fait bizuter, le 09 septembre 2010 à Lyon. ©AFP - JEAN-PHILIPPE KSIAZEK
Une étudiante en première année se fait bizuter, le 09 septembre 2010 à Lyon. ©AFP - JEAN-PHILIPPE KSIAZEK
Une étudiante en première année se fait bizuter, le 09 septembre 2010 à Lyon. ©AFP - JEAN-PHILIPPE KSIAZEK
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Dans son livre "La Fabrique des élites", le journaliste Iban Raïs révèle l'envers du décor des prestigieuses écoles de commerce que sont HEC, l'Essec ou encore l'Edhec. Malgré de nombreux faits graves, les pratiques dégradantes n'auraient pas disparu.

Avec
  • Iban Raïs Journaliste

C'est la grande tradition des écoles de commerce : le week-end d'intégration. Ils ont lieu quelques semaines après la rentrée universitaire, et donnent lieu à tous les débordements possibles. Dans le livre La fabrique des élites déraille ( Robert Laffont), le journaliste Iban Raïs décrit ces week-ends au-delà de toute limite.

"Cartouche à foutre"

Dans les années 2010, selon le journaliste, des étudiants d'HEC avaient pour habitude de privatiser un train pour se rendre dans le Sud, appelé "train disco". "Les promotions qui viennent d'arriver sur le campus vont être mis à rude épreuve dans ce train, explique Iban Raïs à Secrets d'info. Les étudiants devaient boire un shot d'alcool à chaque passage de wagon. Au milieu du train, il y avait une sorte de piste de danse, avec du vomi, de l'alcool, et parfois de l'urine." 

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Du côté de l'Edhec, toujours selon Iban Raïs, lors des week-ends de préparation de la course croisière, les "bizuts" sont par exemple mis à genoux et doivent revêtir un t-shirt avec écrit dessus pour les garçons "cartouche à foutre", "citerne de chiasse", et pour les filles "lasagnes de règles" et "torrent de mouille" (sic). "On les maltraite, on les insulte, on leur jette de la nourriture, complète Iban Raïs_. Le but, c'est de casser la personnalité de ces étudiants pour les faire rentrer dans le moule."_

Dans son livre, le journaliste raconte l'histoire de Manuel, un jeune étudiant brisé par les abus des courses croisières de l'Edhec. "Il est tombé d'une fenêtre d'à peu près 10 mètres de haut, après avoir été forcé de boire une bouteille remplie de rhum, tequila, gin, vodka et bière, déplore le journaliste. Il avait une heure et demie pour boire cette bouteille, comme une initiation. C'était il y a à peu près huit ans, mais aujourd'hui, il n'est toujours pas diplômé et ses frais de scolarité n'ont pas été remboursés."

Culture du viol

Pendant leurs années campus, les jeunes étudiantes se verraient obligées de normaliser la sexualisation permanente de la part des garçons. "Elles doivent faire attention à l'image qu'elles donnent et surtout normaliser les remarques sexistes et les agressions qu'elles peuvent subir", analyse Iban Raïs. 

Dans certaines soirées, selon l'auteur de l'enquête, les filles auraient le droit de venir boire gratuitement jusqu'à 23 heures, avant que les garçons n'arrivent. "Ce genre de soirée existe dans les trois écoles, avec des noms différents : 'Ladies First' ["les filles d'abord] à l'Edhec, 'Au bonheur des putes' à l'Essec, 'Au bonheur des zoulettes' (sic) à HEC. A 23 heures, les garçons, surnommés les 'Enfoirés', débarquent. A ce moment-là, 'la viande est saoule', selon leur expression. Agressions sexuelles, black out, c'est la définition même de la culture du viol."

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Des étudiantes démunies

Le livre d'Iban Raïs pointe la faible réaction des directions de ces établissements. "C'est assez logique d'un point de vue marketing, constate le journaliste. Ces écoles-là, c'est 15 000 euros l'année à peu près. Avant d'être des étudiants, ce sont d'abord des clients. Les directions de ces trois écoles sont obsédées par les classements, et préfèrent mettre tout cela sous le tapis plutôt qu'accepter que ça existe." 

Malgré une certaine prise de conscience ces dernières années, notamment grâce au mouvement #MeToo, certaines pratiques perdurent, selon Iban Raïs : "Les directions agissent parce que les étudiantes les mettent au pied du mur. Telle école va nommer une responsable des violences sexuelles, telle autre va organiser un colloque obligatoire de sensibilisation aux violences sexuelles. Mais derrière, des centaines d'étudiantes sont démunies et perdues. Quand elles subissent une agression sexuelle ou un viol, elles ne savent pas aujourd'hui encore vers qui se tourner et comment elles vont pouvoir obtenir réparation."

Aller plus loin

  • LIVRE - La fabrique des élites déraille, par Iban Raïs, paraît le 27 mai 2021 chez Robert Laffont.

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