Abdennour Bidar appelle à changer nos vies : "Les gens se sentent contraints dans des vies où on étouffe"

Portrait du philosophe et spécialiste des évolutions de l’islam contemporain, membre de l’Observatoire de la laïcité ainsi que du Comité consultatif national d’éthique, Abdennour Bidar.
Portrait du philosophe et spécialiste des évolutions de l’islam contemporain, membre de l’Observatoire de la laïcité ainsi que du Comité consultatif national d’éthique, Abdennour Bidar. ©AFP - ERIC FEFERBERG
Portrait du philosophe et spécialiste des évolutions de l’islam contemporain, membre de l’Observatoire de la laïcité ainsi que du Comité consultatif national d’éthique, Abdennour Bidar. ©AFP - ERIC FEFERBERG
Portrait du philosophe et spécialiste des évolutions de l’islam contemporain, membre de l’Observatoire de la laïcité ainsi que du Comité consultatif national d’éthique, Abdennour Bidar. ©AFP - ERIC FEFERBERG
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Abdennour Bidar, philosophe et spécialiste des évolutions de l’islam contemporain, membre de l’Observatoire de la laïcité ainsi que du Comité consultatif national d’éthique, est l'invité de Patricia Martin.

Avec

Abdennour Bidar vient de faire paraître "Révolution spirituelle !", un livre poème pour une révolution douce - avec quelquefois des accents à la "J'accuse" de Zola malgré tout. Le philosophe explique avoir voulu parler à tous ceux qui ont du mal à respirer dans notre société. "J'ai voulu lancer cet appel comme un chant de respiration et un hymne à changer la vie, dans des sociétés où on étouffe trop souvent parce que rien, de manière suffisante, ne vient nourrir nos âmes__. 

Notre folie est éprouvante, et beaucoup ont le sentiment que quelque chose ne tourne pas rond. Ce sentiment que nous traversons une crise de civilisation est accentué dans cette période difficile, qui vient révéler et aggraver l'absurdité de notre vie actuelle. Autour de moi, beaucoup de gens me disent 'Actuellement, c'est métro-boulot-dodo" : c'est quelque chose qui va être encore accentué avec le couvre-feu

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Les gens se sentent contraints dans des vies où on étouffe" dit Abdennour Bidar. "Les lieux de culture sont fermés, ainsi que les lieux de partage, les lieux de sociabilité - en fait tout ce qui vient nourrir nos âmes vacille aujourd'hui__. On peut espérer que ça ne soit qu'une parenthèse maudite et que le cours normal des choses reprenne, mais je pense que c'est aussi l'occasion de réfléchir aux dysfonctionnements de fond de notre système". 

Un élan destructeur

J'ai l'impression qu'il y a une pulsion suicidaire de nos sociétés, alors qu'en apparence tout va bien : on n'a jamais été aussi confortables.

"Mais entre le plaisir des corps et la nourriture des âmes, il y a un pas" poursuit-il. "J'ai écrit ce livre pour tous ceux qui veulent respirer, qui veulent nourrir leur âme - et ça tient à quelque chose de très simple : cultiver nos liens.

Faire le pari de la jeunesse

"Faire le pari de la jeunesse, c'est un pari optimiste", reconnait le philosophe, "mais c'est un pari qui s'accompagne, ce n'est pas un chèque en blanc. Moi, je vois une partie de la jeunesse qui est effectivement hyper consumériste, etc. Mais je vois aussi beaucoup de jeunes qui sont beaucoup moins matérialistes que les générations précédentes. Ils ont coché toutes les cases : ils ont un job, ils arrivent à peu près à payer leurs études, leurs vacances, leurs loyers, mais ils ont besoin d'un supplément d'âme - et ce supplément d'âme, ça n'est pas simplement la petite cerise sur le gros gâteau du métro-boulot-dodo".

La Terre au carré
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Méditer plutôt que militer ?

À Patricia Martin qui lui demande s'il vaut mieux méditer que militer, Abdennour Bidar répond "Les deux ! Méditez ET militez"__.  

Il poursuit : "Marchons sur deux jambes : soyons dans le spirituel ET dans le politique, dans la méditation ET dans l'action. Je dis à ceux qui savent déjà méditer, 'Engagez-vous". Et je dis à ceux qui militent : 'Attention, pensez d'abord à nourrir votre intériorité, à creuser en vous-même pour libérer la source d'énergie de vos âmes."

Quand il parle de spiritualité et de nourrir nos âmes, il ne parle pas spécifiquement de "religion", précise-t-il.

Comprendre le malaise des enseignants

"Aujourd'hui, on peut se mettre à la place des enseignants  et comprendre que parfois, ils montent au front sur des sujets sensibles - la laïcité, les valeurs, le sacré, etc. Ils ont besoin d'être accompagnés, de savoir quoi dire de telle sorte qu'ils puissent porter la laïcité sans se mettre en danger, sans s'exposer à des incompréhensions voire à de la violence ou de l'agressivité."

La laïcité républicaine

Aujourd'hui, Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, va recevoir les trois responsables du CFCM pour tenter de les réconcilier sur le projet d'un conseil national des imams.

"Moi, je suis un philosophe de l'islam, observateur critique de tout ce qui se passe dans ce champ. Qu'est-ce que je vois? Je vois que du côté du CFCM, on a d'éternelles volontés de pouvoir et, à partir de là, d'éternelles rivalités. Je vois maintenant ces volontés de pouvoir monter du côté du Conseil national des imams. Je m'étonne que dans notre République laïque, on s'apprête à instituer une instance cléricale : cherchez l'erreur. Et je vois donc tous ces appétits de pouvoirs politiques et religieux se battre en donnant une fois de plus de l'islam un spectacle désastreux alors que c'est une culture, une religion, une civilisation qui a du génie". 

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