

Professeur d’astrophysique à l’université d’Harvard aux Etats-Unis, Avi Loaeb est l'invité de Patricia Martin pour la parution d'"Extraterrestre" aux éditions du Seuil, dans lequel il explique considérer l'astéroïde "Oumuamua" comme le premier signe d’une vie intelligente extraterrestre.
- Avi Loeb Professeur d’astrophysique à l’université d’Harvard aux Etats-Unis
Fin 2017, des chercheurs de l'Observatoire Qala, dans les îles Hawaï, détectent un étrange objet, baptisé Oumuamua, qui traverse notre système solaire à toute vitesse. Pour la majorité des scientifiques, l'origine de l'objet est naturelle. Pour Avi Loeb, qui n'est pas un spécialiste de la création des comètes, ce pourrait être un engin artificiel construit par une civilisation extraterrestre.
Avi Loeb est directeur du département d'astronomie de la prestigieuse université de Harvard, où il enseigne ; président du Conseil des académies nationales de physique et d'astronomie des Etats-Unis ; membre du comité des conseillers du président américain sur les sciences et la technologie.
Pendant 11 jours, des télescopes se sont relayés pour observer ce petit corps interstellaire. A quoi ressemble-t-il ?
"Ça ne ressemblait à rien de ce qu'on a vu jusqu'à présent. Ça tournait, et sa luminosité s'est multipliée par dix. Ce qui signifiait que c'était un objet qui était dix fois plus long que large. C'était une géométrie extrême et c'était probablement extrêmement plat comme une crêpe, pas comme un cigare. Et quand il s'est éloigné du soleil, il y a une accélération sans aucune queue, à l'inverse des comètes."
Qu'est-ce qui vous fait dire que ce pourrait relever d'une technologie extraterrestre ? Il a été impossible à photographier et donc on n'a pas de preuves tangibles de son existence.
"C'est exact, mais cette accélération à partir du soleil, sans aucune queue de comète, impliquait qu'il n'y avait une autre force agissante. La seule chose à laquelle je puisse penser, c'est la lumière solaire. On a vu, en septembre 2020, un autre objet, avec une telle accélération qui l'éloignait du soleil, en raison des rayons solaires. Et cet objet n'avait pas non plus de queue de comète. C’était en fait un booster d'une fusée qui avait été éjecté. Et c'était long et fin, et c'est la raison pour laquelle ce booster avait cette poussée.
Mais Oumuamua, est-il artificiel ou pas ? Certains de mes collègues astronomes ont tenté d'expliquer Oumuamua à partir d'une origine naturelle. Mais toutes les suggestions invoquaient quelque chose qui n'avait jamais été vu précédemment.
Tel que de l'hydrogène gelé, un iceberg d’hydrogène. Mais ça n'aurait pas survécu à ce voyage. Une autre suggestion était un nuage de poussière qui aurait été repoussé par la lumière du soleil. Mais ce n'est pas possible que ça puisse survivre à un tel voyage. Etant donné tout cela, mes collègues tentaient d'expliquer ce qui n'avait jamais été vu précédemment.
Moi, j'ai dit : « pourquoi ne pourrait-on pas considérer quelque chose qui soit véritablement technologique ? »
Avec les télescopes existants, étant donné que sa taille était d'environ 100 mètres, c'est à dire, grosso modo, la taille d'un terrain de foot, on n'a pas pu le voir avec des télescopes que l'on a en ce moment sur Terre. Mais si on trouve un autre objet tel que celui-là qui nous approche au lieu de s'éloigner de nous, on pourrait envoyer un navire stellaire avec une caméra et prendre des photos de près. Ce serait véritablement la meilleure chose qu'on pourrait espérer parce que ça révèlerait si c'est un rocher ou quelque chose d'artificiel.
Nous espérons trouver un tel objet dans les années à venir. Il y a un observatoire, l'observatoire Vera Rubin beaucoup plus sensible que celui qui a découvert Oumuamua, et qui deviendra opérationnel dans trois ans. A ce moment-là, on espère qu'on pourra trouver un autre objet tel que celui-là, une fois par mois ! Et peut-être qu’on pourra prendre des photos de ces objets qui ressemblent à Oumuamua, et qui agissent de façon bizarre."
Votre travail est un peu comme une enquête policière. Il faut faire preuve de rigueur, de curiosité, mais aussi ne pas avoir de préjugés. Est-ce que vous avez travaillé de cette manière-là ?
"Tout à fait. Je considère mon rôle de scientifique comme devant conserver ma curiosité d'enfant, sans aucun biais, sans aucune préconception. On apprend, parfois on fait des erreurs, mais on prend aussi des risques. On est prêt à considérer toutes les possibilités, même celles qui ne concordent pas avec vos idées préconçues. Et donc très souvent dans le monde universitaire, des professeurs veulent préserver leur image et ne prennent pas de risque, ne considèrent pas dépenser des possibilités qui les feraient sortir de leur zone de confort. Et le résultat ? On rate des découvertes ! Si on n'est pas ouvert à découvrir des choses merveilleuses, on ne les trouvera jamais.
Il y a beaucoup d'exemples en physique dans l'histoire de la science, où on était totalement surpris par la nature. La nature a une imagination qui dépasse de loin la nôtre. Le meilleur exemple, c'est la mécanique quantique. Personne n'y pensait. Même Albert Einstein avait des difficultés à l'accepter, une fois qu'elle a été découverte."
Si votre hypothèse est avérée un jour, c'est évidemment un bouleversement pour l'humanité, aussi bien sur le plan de la religion, de la philosophie et de la science aussi. Est-ce qu'on est préparé à vous entendre ? Est-ce qu'on est prêt à entendre qu'il y a eu ou qu'il y a de la vie ailleurs que sur Terre ?
"Je ne pense pas que les gens soient prêts, et c'est ce que je dis dans mon livre « Extraterrestre ». Nous ne sommes pas prêts pour un certain nombre de raisons, mais la plus importante de toutes, c'est que nous préférons être uniques. Mais spéciaux. Quand mes filles étaient petites, elles pensaient qu'elles étaient très spéciales et qu'elles étaient le centre du monde. Et puis, elles sont allées au jardin d'enfants. Elles ont rencontré d'autres enfants, et se sont rendu compte que leurs qualités n'étaient pas tellement exceptionnelles. La seule façon pour nous de mûrir en tant que civilisation est de trouver d'autres que nous. Mais je ne pense pas que nous soyons prêts à cela pour l'instant. Nous nous comportons comme mes filles : « Je veux rester à la maison et me sentir unique et spécial."
Et si, tout à coup, un extraterrestre bienveillant atterrissait en soucoupe volante dans la cour de votre université, par exemple, quelle serait votre réaction ?
J’aurais beaucoup de plaisir à sortir, et discuter avec lui. Il y aurait le problème de la langue. Comment communiquer ? Mais ce serait fascinant. J'ai posé la même question à mes étudiants : est-ce que vous monteriez dans ce navire spatial s’il vous invitait ? Ils m'ont répondu oui, mais à ma surprise, tous ont dit oui, mais à la seule condition qu'ils puissent partager leur expérience à travers les réseaux sociaux, via leur téléphone portable. C'était vraiment une surprise pour moi parce en ce qui me concerne, c'est l'expérience qui est excitante. Peu importe si je la partage avec quelqu'un d'autre.
Traduction assurée par Michel Zlotowski
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