Jean-Christophe Rufin : "Un militaire dans la rue, ça vous rassure ? Moi pas."

France Inter
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Les attaques terroristes de Paris ont bouleversé l’opinion publique et la classe politique. Faut-il sacrifier nos libertés publiques au profit de la guerre contre le terrorisme ? L'écrivain et ancien ambassadeur du Sénégal est l'invité de Léa Salamé.

Une bande de petits crétins professionnels qui font beaucoup de conneries, voilà comment vous parlez du groupe EI. Vous n’êtes pas en train de sous-estimer Daech ?

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Je suis sceptique sur l’hystérie autour de la notion de guerre qui est servie par la classe politique. Ce qui nous est arrivé c’est l’irruption de l’Histoire. Il y a eu les attentats de Madrid, de Londres.

On n’est pas en « guerre », ce sont les mots de François Hollande ?

On n’est pas en guerre. Ce n’est pas un acte de guerre. Ca ressemble plus à la cabale de Mesrine qu’à la charge des blindés de Guderian.

C’est une guerre asymétrique mais ils ont pris en quelques semaines un territoire grand comme l’Angleterre, ils ont commis les pires attentats sur le territoire français, pour des crétins ils ne se débrouillent pas mal...

Dans cette région, il y a un vide créé par l’effondrement du régime Assad et la guerre civile. Ce vide a été occupé par les anciens partisans de Saddam Hussein. Ce territoire draine tous les djihadistes du monde entier.

Ça ne vous inquiète pas ?

Les conséquences pour nous sont limitées, elles sont gérables en terme de sécurité publique. On parle du cerveau pour Abaaoud, mais s’il lui manquait quelque chose à celui-là, c’est bien un cerveau. Ce n’est pas très compliqué, hélas, de faire des morts dans un concert.

Cette guerre ce n’est pas notre problème ?

Pour y aller [avec les Américains], il faut y être aussi sensibilisé qu’eux.

Une ambassade américaine par exemple : vous ne l’approchez pas à moins de 500 mètres sans être arrêté par des militaires et encore, ils subissent des attentats. Une ambassade française c’est un gars qui rentre chez lui, qui klaxonne, un type derrière qui dort et lui ouvre la porte. N’importe qui peut rentrer là.

On n’a pas les moyens de nos ambitions ?

On n’a pas les moyens de nos ambitions là-bas.

La grande coalition que Hollande essaie de monter : est-ce que c’est la même chose de parler à Poutine et à Obama. On n’a jamais été autant russolâtre en France. Est-ce qu’on peut poser la question Poutine ?

On est loin d’être russolâtre. On est passé d’une défiance systématique à une espèce de realpolitik, c’est curieux la conversion très rapide : parce qu’on a été touchés tout a changé !

Vous dites que c’est la fin du « Bernard-Henri-Lévisme ». Vous êtes cynique.

Tant que toutes ces guerres ne nous concernaient pas on a fait du gentil. On faisait de l’humanitaire et après on s’en allait, on laissait le chaos comme en Lybie. Tout ça c’est fini.

Manuel Valls n’écarte pas la possibilité de prolonger l’Etat d’urgence au-delà de trois mois. Ça vous inquiète ?

Tous ces militaires dans les rues, l’Etat d’urgence n’est pas soutenable comme on dirait à la COP21. C’est du symbole. Quand vous voyez un militaire dans la rue ça vous rassure ? Moi pas. En réalité ce qui compte c’est d’arriver à démanteler ces filières. On a un déficit qui ne se voit pas mais qui est énorme en matière de suivi de tous ces groupes. Le militaire dans la rue et dans les gares, à part prendre la balle à votre place, je ne vois pas de quoi il vous protège.

Dans votre livre Globalia, publié il y a 10 ans, vous imaginiez un monde consumériste où les citoyens ne sont plus libres et vous écriviez : « La sécurité, c'est la liberté. La sécurité c'est la protection. La protection c'est la surveillance. La surveillance, c'est la liberté. La protection ce sont les limites. Les limites, c'est la liberté. » C’était 1984, Big Brother, on y est presque !

Justement à cause de cette idée de guerre, qui est une idée fausse en ce qui concerne notre territoire, mais au nom de cette guerre, qui n’existe pas, on est en train de devenir une société de flicage. Mais on manque de moyen pour suivre les terroristes mais en revanche madame Michu dans le rue n’a jamais été autant fliquée.

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