Alain Minc, essayiste chantre du libéralisme économique, et pourtant auteur de "Ma vie avec Marx" (Gallimard), est l'invité de 7h50.
- Alain Minc Essayiste, conseiller en entreprise, ancien président du conseil de surveillance du Monde
Un choix pas si surprenant, selon Alain Minc : "Ça fait des années que je dis que je suis le dernier marxiste français, et dans le monde capitaliste auquel j’appartiens, je ne suis pas le seul. The Economist, qui est la bible du système capitaliste, a fait une couverture “Quand revient Marx ?” Marx est l’esprit qui a le mieux pensé l’économie de marché, sa puissance, le progrès, l’essort de la bourgeoisie, et les limites comme les inégalités. Il y a deux Marx : le Marx qui donne l’héritage communiste, avec les conséquences qu’on connaît, et un autre Marx triomphant, qui est le père de la social-démocratie. Or le “quoi qu’il en coûte”, c’est quoi sauf l’apogée de la social-démocratie ? "
Il rappelle qu'il y a eu "en Allemagne au 19e siècle un débat dans l’héritage marxiste, et la branche léniniste a pris temporairement le dessus. Mais n’oubliez pas que le parti qui va peut-être gagner les élections allemandes, le SPD, en réalité abandonne en 1959 la filiation marxiste pour des raisons politiques, mais pas l’esprit. Au-delà de ça, je ne connais aucun autre personnage de l’Histoire qui a pensé simultanément l’Histoire, la philosophie, l’économie et la société : c’est hallucinant."
"Tous les militants devraient relire les pages du manifeste communiste"
"[Marx] considérait qu’il y aurait une évolution de l’Histoire, mais que l’apogée du capitalisme était une immense réussite", assure l'économiste. "Je pense que tous les militants engagés devraient relire les pages du manifeste communiste, ils comprendraient l’intelligence de leur adversaire, le capitalisme, plutôt que d’être dans des fantasmes et des illusions. Après, il y a un débat très clair et d’actualité : quand je dis “Karl revient”, c’est parce qu’il a pensé un monde à inégalités croissantes."
"La vérité est la suivante : le capitalisme est une machine à fabriquer de l’efficacité et de l’inégalité. Quand il tourne à pleine vitesse, il fabrique énormément d’efficacité et énormément d’inégalité. Mais quand on est comme aujourd’hui dans un univers de taux zéro, les inégalités ne peuvent que s’accroître. D’une certaine façon, il n’y a pas aujourd’hui la réponse prolétarienne mais il y a un débat sur les inégalités qui va aller crescendo."
"La classe dominante octroie le progrès social"
Pour Alain Minc, "le vrai problème, c'est que le jeu social est déséquilibré : le jeu social, c’est l’État, le patronat, les syndicats. Or il n’y a plus de syndicats. Ce qui fait que c’est l’État qui est obligé de se substituer à la faiblesse syndicale, par exemple pour donner des droits élémentaires aux travailleurs d’Uber. Il se passe avec eux ce qui s’est passé avec Bismarck, qui a donné les premiers droits sociaux en Allemagne. D’une certaine manière, on arrive à un point où la classe dominante octroie le progrès social comme Louis XVIII octroyait la charte."
Sur la crise du Covid, Alain Minc estime que "la chose la plus importante, c’est que jamais les gouvernements et les banques centrales n’ont aussi bien fait. Si en 1930 il y avait eu la même intelligence politique des gouvernements et des banques centrales, il n’y aurait pas eu Hitler et la deuxième guerre mondiale. Face à la situation actuelle, où l’on passe son temps à dire qu’on est mal gouvernés, le coup de chapeau est absolument extraordinaire. Il s’est passé une adaptation extraordinaire : après, les inégalités, ça se corrige à la marge."
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