

Kirill Serebrennikov, réalisateur, est l'invité de 7h50 pour son film "La Femme de Tchaïkovski".
- Kirill Serebrennikov Cinéaste
Kirill Serebrennikov est l'un des grands réalisateurs et metteurs en scène russe, qui vit depuis un peu plus d'un an à Berlin. Il réalise "La Femme de Tchaïkovski", film sur la passion dévorante d'une femme qui aime un homme qui ne l'aimera jamais. Cela faisait des années que Kirill Serebrennikov souhaitait consacrer un film à Tchaïkovski : "Il y a un univers Tchaïkovski, comme il y a un univers Marvel. C'est le compositeur russe le plus connu dans le monde mais presque personne ne connaît sa vie", explique-t-il.
Alors que l'homosexualité du compositeur est connue, "presque personne ne sait qu'il y a eu une femme dans sa vie, j'ai voulu parler de cet amour impossible, de cette folie", raconte Kirill Serebrennikov. Lorsqu'il présente son projet au ministre russe de la Culture, il lui répond "Tchaïkovski n'était pas homosexuel, vous n'êtes pas autorisé à le laisser penser dans votre film, nous avons besoin d'un film sur Tchaïkovski hétérosexuel". "Ce que j'ai trouvé repoussant, c'est cette commande propagandiste : quand on dicte à une équipe de tournage qu'il faut faire comme ci, ou comme ça, c'est comme si le mensonge devenait une idéologie de propagande".
Tchaïkovski "était contre tout ce qui pouvait l'empêcher d'écrire"
L'histoire de la femme de Tchaïkovski, c'est celle d'Antonina Milioukova, une pianiste qui tombe amoureuse du compositeur ; celui-ci accepte de l'épouser pour subvenir à ses besoins financiers, et pour avoir une couverture pour cacher son homosexualité. Mais entre eux, il n'y a que douleur, violence et malentendus. "Ces deux personnes ont été en vraie dépression, mais Tchaïkovski a réussi à rester un grand compositeur. Antonina, elle, a sombré dans cette folie", raconte Kirill Serebrennikov, qui montre dans son film comment l'obsession fanatique peut mener à la folie.
"Il y a là une certaine naïveté, mais aussi un ego passionné, un désir de posséder la personne que vous avez choisie. Ce désir de posséder la rend extrêmement contemporaine", explique-t-il. En miroir de ce personnage qui agit, on voit un Tchaïkovski dur, narcissique, insensible à elle. "Il était contre tout ce qui pouvait l'empêcher d'écrire sa musique, il essayait de créer autour de lui les bonnes circonstances pour travailler, il le fait par des efforts qu'on peut interpréter comme étant de l'agression".
"La guerre tue aussi la Russie"
Le film montre aussi qu'à l'époque, la situation des femmes en Russie était pire que celle des hommes homosexuels, qui bénéficiaient d'une forme de tolérance. Aujourd'hui, il est impossible d'être homosexuel en Russie. "Il est absolument impossible de montrer ce film en Russie compte tenu des lois prises ces dernières années : tous les enfants risqueraient de devenir homosexuels si on leur montrait ce film-là ?", déplore Kirill Serebrennikov. "On va attendre d'autres, une autre époque, quand tout le monde se retrouvera en Russie. Si un jour ce film est montré, ce sera le signe des changements en Russie". Après Poutine ? "Sans nul doute."
Un an après le début de la guerre en Ukraine, il affirme que "cette guerre tue aussi la Russie, c'est une guerre criminelle. D'un côté c'est le meurtre de gens pacifistes et civils, de l'autre c'est aussi un meurtre de sa propre population, il éloigne le pays de son chemin. Malheureusement, je ne sais pas mentir, et je ne vois pas de scénario positif dans les temps qui arrivent". Mais il dit aussi que pour lui, "l'espoir est ce qui meurt en dernier".
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