Laurent Garcia, cadre de santé à l'Ehpad des "Quatre saisons", est l'invité de Léa Salamé à 7h50. Il raconte la vie quotidienne dans son établissement et comment les résidents vivent, souvent mal, le confinement.
- Laurent Garcia Cadre de santé à l'Ehpad des Quatre saisons
"Le Covid-19, ça ne leur parle pas", explique Laurent Garcia. "Les personnges âgées sont ici pour leurs derniers jours, et elles parlent plus de l’enfermement que du Covid-19. Ce qu’elles disent, c'est : “vous savez, nous on a vécu la guerre, donc un virus ça ne nous fait pas peur”. Le problème à l’heure actuelle c’est qu’elles sont confinées en chambre, qu’elles ne voient plus leurs amis, les autres résidents, et la douleur elle est là : d’avoir dû les confiner dans ces chambres de 21 m²."
"On essaie d'imaginer des choses, mais c'est une surveillance permanente"
Comment gérer cet isolement ? Laurent Garcia assure qu'il faut rivaliser d'imagination : "Il y a des passages très souvent, pour discuter. On ne ferme pas à clé les chambres, on laisse les portes ouvertes pour qu’elles puissent se parler de porte à porte… On essaie d’imaginer des choses. Mais c’est une surveillance permanente : c’est quelque chose qu’on n’aime pas faire, avoir un rôle de gendarmes et demander [aux personnes âgées] de rentrer en chambre. C’est très douloureux pour elles, et c’est l’incompréhension, parce que le virus ça ne leur parle pas."
Il assume également de leur accorder de petits écarts : "On a des résidents qui boivent leur petit verre de vin tous les jours, qui sortent, qui vont au bar… On ne peut pas les priver de ça, on ne peut pas les priver de tout, il faut que la vie continue, que leur vie continue. C’est important, vital d’acheter de l’alcool à des résidents qui ont l’habitude de boire."
Perte de contact, perte d'appétit
"On a installé Skype, elles sont pas habituées à ça", explique Laurent Garcia. "À une résident que sa fille appelait par Skype, j’ai dit “votre fille est là”... et elle l’a cherchée dans la chambre. Les familles sont bloquées, ne peuvent pas discuter naturellement, parce que je suis là à tenir la tablette. Rien n’est naturel, les résidents ont beaucoup de mal à parler par Skype. C’est plutôt pour rassurer les familles et leur dire : “vous voyez, il va bien”."
Il a également des problèmes plus inquiétants : "À l’heure actuelle, mon plus grand souci c’est la perte d’appétit. Ils mangent seuls dans une chambre, avec un plateau repas, si ce confinement dure trop je suis persuadé qu’il va y avoir des dégâts dans les Ehpad. Le jeu, c’est de trouver et d’imaginer des choses : par exemple des repas par deux une fois par jour. Même dans ces moments d’angoisse où l’on est tous inquiets et stressés, il faut de la joie."
Constamment entre rires et larmes
"On pleure souvent, on rit aussi beaucoup", explique Laurent Garcia. "C’est très difficile : moi j’ai une chance inouïe c’est que toutes mes équipes sont là. D’autres n’ont pas cette chance. Oui on craque, on craque tous ensemble, on fait une réunion le matin où on se lâche un peu. Tous les jours, c’est entre rires et larmes. Je pleure tous les jours parce qu’ils sont toujours là."
Que ce soit dans les hôpitaux ou dans la société, "on sait très bien que ces personnes ne sont pas prioritaires", reconnait-il. "Ce qui est incroyable, c’est qu’on a parlé il y a quelque temps d’une loi grand âge, où les aînés avaient une place importante. Maintenant, à cause du manque de moyens et des hôpitaux surchargés, on va devoir faire des choix."
Les masques sont arrivés
Concrètement, il commence à voir la fin du manque de matériel : "Les masques arrivent depuis une semaine, je peux en donner à tout le monde. Mais malgré tout, je viens tous les matins pour distribuer les trois masques par jour, parce qu’on ne sait pas combien de temps ça va tenir. Mais la pénurie, elle a eu lieu, depuis début mars j’avertis sur le sujet."
Que pense-t-il de l'idée de faire des tests systématiques ? "Pour moi, tester tout le monde, ça n’aurait pas de sens, sachant que les tests ne fonctionnent pas à 100 % et que dans l’heure d’après, on peut rencontrer quelqu’un d’infecté…" Il précise qu'à l'heure actuelle, il n'a "pas eu de décès, mais deux soignants Covid positifs."
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