Crise dans la police : "Ce métier, les nouveaux ne l’apprennent pas, ils n’ont pas le temps de l’apprendre"

Fabien Jobard et Abdoulaye Kanté dans le studio de la matinale de France Inter
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Fabien Jobard et Abdoulaye Kanté dans le studio de la matinale de France Inter ©Radio France
Fabien Jobard et Abdoulaye Kanté dans le studio de la matinale de France Inter ©Radio France
Fabien Jobard et Abdoulaye Kanté dans le studio de la matinale de France Inter ©Radio France
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Fabien Jobard, directeur de recherches au CNRS, Abdoulaye Kanté, gardien de la paix dans les Hauts-de-Seine, et le Commandant Sabrina Rigollé, secrétaire générale adjointe du Syndicat des Cadres de la Sécurité Intérieure sont les invités du Grand Entretien de France Inter avec Carine Bécard.

Avec
  • Fabien Jobard Sociologue, directeur de recherche au CNRS, travaille au CESDIP, Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales
  • Sabrina Rigollé Secrétaire générale adjointe du syndicat des cadres de la sécurité intérieure SCSI
  • Abdoulaye Kanté Gardien de la paix dans les Hauts-de-Seine

Pour Abdoulaye Kanté, la situation a obligé la police à s'adapter, tant bien que mal. "Depuis quelques années, on est dans un paysage assez violent, lié aussi à la crise sociale que nous traversons depuis deux ans. Il est nécessaire d’avoir une police qui puisse faire son introspection. Un certain pourcentage de Français n’a plus confiance en nous et il est nécessaire de voir pourquoi. Sur le terrain, il y a de la violence et de la peur. On vit avec la peur, ça nous permet d’être vigilants. Mais parfois cela peut vous faire faire des choses que vous ne maîtrisez pas. On essaie d’être préparés au mieux, mais chaque situation est inédite. La formation est bonne, mais je pense qu’elle doit évoluer au vu des nouvelles situations en face de nous. Elle doit être réactualisée."

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"Il faut restaurer le sens de la relation avec ce qui fait une société"

Fabien Jobard estime de son côté que "le problème majeur aujourd’hui dans la police est celui de la vocation, du sens de ce métier, qui s’est détérioré". D'abord à cause des "problèmes de recrutement" : "On a voulu recruter beaucoup de policiers d’un coup après les attentats de Charlie Hebdo, après une longue période où, pour des raisons d’économie budgétaire, on a très peu recruté. Aujourd’hui, les jeunes qui arrivent dans la police sont jetés littéralement, après huit mois en école, et dès qu’ils sont en service de police, on leur dit : “l’école, tu oublies, ici on va t’apprendre le métier”. Ce métier ils ne l’apprennent pas, ils n’ont pas le temps de l’apprendre, ils ont des horaires très compliqués qui ne leur permettent pas de construire un rapport au quartier, à la vie sociale dans laquelle ils interviennent."

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"Pour combler ça, il faut un énorme investissement sur la formation continue, qu’elle ne se limite plus simplement à trois tirs annuels. Il faut aussi restaurer le sens de la relation avec ce qui fait une société. Si on lit actuellement le projet de loi sécurité globale ou, mieux encore, le livre blanc sur la sécurité, on se rend compte que la notion de continuum de la sécurité est une notion verticale. Le ministre de l’Intérieur décide ce qui doit se passer sur l’ensemble de la “chaîne de sécurité”. Le travail avec les associations, avec les élus, tout ce qui fait le tissu social, est totalement négligé", assure le chercheur.

Les policiers vous le diront, dans les services : “Moi je suis pas travailleur social”. Or une grosse partie du travail de police, ça consiste à l’être ! C’est ce sens-là qu’il faut restaurer dans la police."

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Abdoulaye Kanté approuve : "Les nouvelles recrues doivent être sensibilisées sur les questions sociétales : notamment sur le racisme, la violence… Quand de nouveaux collègues arrivent du fin fond de la Creuse et sont balancés dans des services sur le 93 en banlieue, ils doivent être sensibilisés. Les associations doivent aller dans les centres de formation pour expliquer leur vécu, à quoi ils vont être confrontés, comment ils seront vus."

"Les syndicats majoritaires ont deux pouvoirs qui exercent une influence nocive"

La police est-elle "chouchoutée" par son ministre, qui vient de leur offrir deux mesures améliorant leur quotidien (mutuelle et gratuité des transports). Pour Sabrina Rigollé, secrétaire générale adjointe du Syndicat des Cadres de la Sécurité Intérieure, ce ne sont pas des "cadeaux" : "Nous avons une obligation d’intervenir quel que soit notre temps de présence sur un lieu. Nous serons considérés en service si nous devons intervenir dans les transports pour porter assistance à une personne, par exemple. Cela permet d’assurer la sécurité dans les transports. On évoque la crise qui frappe l’institution, mais quand vous venez comme le disait mon collègue de la Creuse pour travailler dans le 93, le fait d’avoir les transports gratuits et de redescendre plus régulièrement, ça permettra que des collègues se sentent mieux."

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Fabien Jobard, lui, estime que le problème vient en partie des syndicats de police et de leur influence en plus haut lieu. "Les syndicats majoritaires ont deux pouvoirs qui exercent une influence nocive sur le fonctionnement de la police. Le premier, c’est la cogestion : le ministère de l’Intérieur est par tradition un ministère géré avec les syndicats. Ça conduit à considérer les problèmes de police et de sécurité dans une bulle. L’un des avantages du Beauvau de la sécurité, c’est d’ouvrir la table. Vous avez raison de soulever ces cadeaux à l’égard des policiers : on veut discuter réforme de la sécurité, réforme de la police, et on retombe sur des avantages catégoriels."

"La deuxième chose, c’est la compétition entre les organisations syndicales majoritaires, qui conduit souvent à une hystérisation des débats sur la police. Ça favorise encore ce phénomène de bulle entre le ministre de l’institution policière."

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"Les policiers ne se lèvent pas le matin en se disant qu’ils vont contrôler des noirs et des arabes !"

Abdoulaye Kanté voit lui un signe encourageant dans ces deux mesures en faveur des policiers : "Quand vous êtes dans un service et qu’au quotidien vous voyez des violences, même si on a une capacité d’absorption, on reste des humains sous l’uniforme, et parfois pour se ressourcer ça fait du bien d’avoir certains avantages. Je pense que les syndicats font de la politique, mais il est nécessaire qu’il y ait une introspection et que tout le monde se mette autour de la table et qu’une fois pour toutes on sorte de ce carcan politique. Si vous voulez une police efficace, il faut aussi qu’on ait des moyens : nous, on s’adapte à ce qu’on nous donne, si l’on n’a pas ce qu’il faut, on n’a pas le résultat escompté."

Sur la question des contrôles au faciès, il reste sceptique. "Les policiers ne se lèvent pas le matin en se disant qu’ils vont contrôler des noirs et des arabes ! Si on doit parler de contrôle au faciès, ça veut dire qu’on doit mettre en place des statistiques ethniques… Est-ce qu’on peut quantifier vraiment factuellement ce genre de choses ?"

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Difficile, selon Fabien Jobard : "La seule étude que nous avons faite sur cette question, c’était en suivant des policiers à leur insu. On avait relevé les caractéristiques des personnes présentes sur les lieux de contrôles. On avait vu que dans les lieux où il y a très peu de minorités, elles sont surcontrôlées : dans les où il y a beaucoup de minorités présentes, elles sont également surcontrôlées."

"Pourquoi contrôle-t-on 100, 1000 fois moins en Allemagne, en Angleterre, à New-York qu’en France ?"

Il y voit toutefois un problème moins important que celui de l'ampleur des contrôles en France : "À mon avis , la question majeure du contrôle, c’est pas tellement les discriminations ou les écarts par rapport à la population majoritaire, mais c’est leur nombre, leur caractère massif : aucune police en Europe ne pratique le contrôle sur les lieux publics comme la France. Aujourd’hui, le contrôle d’identité est massivement pratiqué parce qu’on n’apprend plus aux policiers à s’adresser à des jeunes qui posent des difficultés dans l’espace public, sans passer par “messieurs, contrôle d’identité”. Ça, c’est une philosophie entière du métier, de la relation au public, qui doit être abordée de manière neuve : pourquoi contrôle-t-on 100, 1000 fois moins en Allemagne, en Angleterre, à New-York qu’en France ?"

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Pour Sabrina Rigollé, "le ministre a très bien souligné les sept péchés capitaux qui peuvent être imputés aux gouvernements successifs". "Il souligne qu’il y a un problème dans l’encadrement, au sens global : les cadres ne sont pas formés sur le même site, ce qui crée une scission dès l’entrée dans la police. Il y a une nécessaire uniformité dans le management à développer, via la formation. M. Macron s’est engagé à créer une académie de police, où l’ensemble des corps de la police nationale serait formé sur un même site. Ça paraît évident, c’est comme ça dans d’autres pays comme en Espagne. Il y a aussi la nécessité d’une formation continue, bien souvent délaissée. Nous voulons un cap : quelle police pour demain ? Et ça aura forcément un coût, et il faudra une refonte structurelle."

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