François Hollande, ancien président de la République, est l'invité du grand entretien de Nicolas Demorand et Léa Salamé à 8h20.
- François Hollande Homme d'Etat français (PS)
"Ce virus nous a rappelé que tout le monde est vulnérable : un virus et c'est l'activité du monde entier qui s'arrête. Cette vulnérabilité nous oblige à concevoir le monde avec beaucoup plus de solidarité et de solidité", a estimé l'ancien président de la République François Hollande, invité de France Inter lundi matin, jugeant par ailleurs que la crise sanitaires serait "lourde de conséquences" et supposait "des mesures immédiates".
"J'ai vécu cette période à la maison, puisque c'était la consigne qui nous était donnée. C'était une période troublante et inquiétante. J'ai pu être éprouvé dans cette période : j'ai perdu mon père dans cette période, même s'il n'y a pas eu de lien direct avec le virus et j'ai vu ce qu'étaient les conditions de travail car mon père était dans un Ehpad. J'ai vu toutes les difficultés que les familles de victimes avaient pu rencontrer pendant cette période", raconte l'ancien chef de l'État.
Décentraliser la décision
Pendant son mandat, "beaucoup s'interrogeaient sur l'État, sur le trop de fonctionnaires, sur le trop de dépenses publiques... Ce n'est pas si loin ! Moi-même, pendant que j'étais président, on me parlait de 'ras-le-bol fiscal'. Mais on a besoin de ces services publics", juge l'ancien président.
"Le service public n'est pas seulement l'état central", estime François Hollande. "C'est aussi les collectivités locales et les pays qui ont le mieux résisté, ont été le plus efficace contre le virus et la prévention des difficultés économiques sont ceux qui avaient un État capable de décentraliser la décision : l'Allemagne ou la Corée, par exemple."
En France, estime l'ancien président, "ce n'est pas tout à fait normal que ce soit l'État qui décide si les parcs, les plages doivent être ouverts. C'est aux maires d'en décider et de prendre des mesures pour éviter qu'il y ait des abus."
Hôpital : "J'ai ma part de responsabilité"
"J'ai présidé la France pendant cinq ans, donc j'ai ma part de responsabilité aussi dans la situation de l'hôpital", assume François Hollande. "Depuis des années, on a contraint l'hôpital et j'ai pris ma part, je ne veux pas m'exclure, même si j'ai mis des moyens supplémentaires. On a mis une sur-administration et c'est ce que les personnels, notamment les médecins, rejettent aujourd'hui. C'est ce qui fait qu'ils passent parfois plus de temps à remplir des papiers qu'à soigner", regrette-t-il, soulignant toutefois 30 000 postes créés dans les hôpitaux publics et une hausse de 7 % de la masse salariale sous son mandat.
"Il faut donner beaucoup de souplesse aux hôpitaux", estime François Hollande mais aussi "rattraper le retard sur les rémunérations et changer l'organisation du travail". En revanche, il s'oppose à un retour sur les 35 heures : "Vous imaginez dire ça à des personnels qui ont travaillé sans compter leur temps, pour des heures supplémentaires qui ne seront peut-être jamais payées ? Qu'on mette de la souplesse, de la négociation, qu'on rémunère mieux certaines activités mais de grâce, ne revenons pas sur ce qui est aujourd'hui regardé comme un acquis social."
Concernant la question des masques, très polémique depuis le début de la crise sanitaire, François Hollande explique "qu'il y avait un peu moins d'un milliard de masques" quand il est arrivé, "et 740 millions" quand il est parti. "Quand la crise a commencé, il n'y en avait plus que 140 ou 150 millions."
Économie : les décisions prises "ont été les bonnes dans cette période"
Chômage partiel, prêts garantis et exonération de charges pour certains secteurs étaient de bonnes mesures selon François Hollande. Mais "la crise va surgir sous nos yeux et le chômage va atteindre des niveaux jamais connus", estime l'ancien président qui craint que "d'ici la fin de l'année, on peut penser qu'il y aura plus d'un million de chômeurs de plus, entre les licenciement qui vont se produire, les ruptures de CDD, d'interims, les faillites ou dépôts de bilans de commerçants et enfin le fait que des jeunes qui arrivent sur le marché du travail, qui va les recruter".
Face à cette situation, "je propose un plan en cinq points : il faut prévenir les licenciements et propose un contrat aux entreprises qui permette la transition, que le salarié reste lié à l'entreprise ; un plan pour les jeunes pour que leur embauche soit favorisée par des primes ou des exonérations ; que les entreprises puissent avoir des fonds propres ; un plan pour le pouvoir d'achat et c'est pour ça qu'un chèque de déconfinement doit être versé à près de 10 millions de personnes, de 300 à 700 euros pour les plus modeste ou les personnes seules, mais il faut une reprise de la consommation. Et enfin que les 'industries de la vie' soient soutenues directement par les investissements publics", détaille François Hollande.
Ce plan là, c'est "au mois de juillet" qu'il doit être pris, juge-t-il. "Parce que sinon, le niveau du chômage sera beaucoup trop élevé".
"Si on attend, on paiera plus cher. Les sommes mises tout de suite sont des sommes qui seront mises en moins pour faire face au chômage"
L'ancien président estime aussi que l'argent emprunté doit être "bien investi" et non gaspillé. "Sur la fiscalité, j'ai regretté profondément que l'on supprime l'impôt sur la fortune et qu'on diminue les revenus sur le capital. Il faudrait réintroduire ces instruments", dit François Hollande. "Mais soyons justes et francs", poursuit-il, "ce n'est pas ça qui va compenser les 150 milliards de déficit de budget de l'État et les 50 milliards de la Sécurité sociale."
Selon lui, il faut accepter "pour un temps limité" la dette, avoir le soutien de l'Europe et mettre en place une économie qui retrouve l'activité, "de la croissance mais pas n'importe laquelle".
"Politiquement, les nationalistes ont perdu"
François Hollande alerte toutefois sur un replis des nations sur elles-mêmes. "Idéologiquement les nationalistes peuvent gagner, mais il se trouve que politiquement, ils ont perdu : vous pensez qu'on avait envie d'être dirigés par Donald Trump pour lutter contre le virus et faire repartir l'économie ? Par Bolsonaro qui a encore nié l'évidence du virus ? Par Boris Johnson qui en a payé les frais en étant lui-même contaminé. Les héros populistes et nationalistes qui disaient qu'il fallait s'enfermer, on voit ce que leur gestion a donné", estime François Hollande.
"Je suis un être rationnel qui essaie de voir ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas", explique-t-il au sujet du professeur Raoult et de la chloroquine que ce dernier recommande d'utiliser. "Je n'ai pas de tabou mais pas non plus de fantasme et il y a eu là une perte de lucidité. Ceux qui dirigent doivent prendre en compte ce qui est proposé par des grands professeurs mais ne pas laisser penser qu'il y a une solution miracle."
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