

Le Général Pierre de Villiers, ancien Chef d’état-major des armées, est l'invité du Grand entretien de la matinale. Il est l'auteur de "L’équilibre est un courage" (éd. Fayard, sorti 14 oct 2020).
- Pierre de Villiers ancien chef d'Etat-Major des armées
En ce 11 novembre, le général rappelle d'abord que "dans l’armée, on sait d’où on vient et pourquoi on peut aller jusqu’au sacrifice suprême". "On enseigne ça à nos 25.000 jeunes qui rentrent chaque année dans l’institution militaire. On se bat pour la France, pour des valeurs, pour la paix, et pour les trois couleurs. Au bout d’un mois de formation initiale, tous les soldats sont présentés à l’étendard, et c'est en même temps tous ceux qui ont fait la France qui passent devant eux, ceux qui ont permis que nous soyons en paix aujourd’hui."
"On manque de vision, on manque de stratégie, on manque de hauteur et de profondeur"
Que pense-t-il de Maurice Genevoix, qui entre au Panthéon ce mercredi ? "C'était un grand personnage, un soldat, il a commencé comme lieutenant et a été blessé. Il est sorti de la ligne de feu par ses camarades, puis a été grand invalide de guerre. C’était un soldat puis un écrivain. “Ceux de 14”, c’est probablement le meilleur livre qui existe pour raconter cette guerre atroce."
Autre soldat beaucoup invoqué ces derniers jours, le général De Gaulle : "C’était un grand homme par la taille et par le talent, quelqu’un qui avait une vision. Dans nos démocraties européennes aujourd’hui et particulièrement en France, on manque de vision, on manque de stratégie, on manque de hauteur et de profondeur. Le général de Gaulle aimait et connaissait le peuple de France. Il aimait le contact direct avec lui, et il aimait que l’État soit au service de la nation."
"Je pense qu’aujourd’hui il y a une coupure profonde entre les citoyens et ceux qui dirigent", regrette Pierre de Villiers. "C’est vrai en politique mais aussi dans les entreprises, les associations, les clubs de sport, partout… Il faut retisser ce lien."
"On a besoin de ce sentiment d’appartenance"
"Dans mes livres je mets mes tripes, mes convictions, je suis quelqu’un d’authentique. J’ai décidé d’écrire ce livre parce qu’au travers de mes rencontres, j’ai noté ce délitement du creuset national. Délitement territorial : on ne vit pas aujourd’hui de la même manière au centre d’une grande ville, à la campagne, ou dans une cité. Ce n’est plus la même vie, plus les mêmes valeurs, il n’y a même plus le sentiment d’appartenance au même pays, parfois on ne parle même plus la même langue. Je crois qu’il faut s’interroger là-dessus. Ensuite, il y a des déséquilibres géopolitiques mondiaux, sociaux, économiques avec ce capitalisme libre-échangiste qui crée de la pauvreté supplémentaire, qui accentuent tout ça. Il y en a beaucoup qui disent ça, mais après, il faut trouver des solutions !"
Mais cette unité organique d'un pays, alors que nombre de démocraties sont aujourd'hui divisées, fracturées, n'est-ce pas un simple mythe ? Non, pour le général, qui assure que cela reste "très important : en dépit de l’élargissement de l’espace et du raccourcissement du temps, on a besoin de ce sentiment d’appartenance". "Quand on est confiné, on l’est dans sa famille, dans son village, dans sa ville, et le dernier cercle c’est le pays. Je crois que la nation revient au contraire au sentiment d’appartenance, et ce creuset national est très important. Il est possible de le reconstituer, simplement il faut une démarche globale. Il faut le faire par l’éducation, apprendre aux petits Français à aimer la France, à parler la langue, la culture, et ensuite ne plus opposer le régalien sans le social : il n’y a pas l’un sans l’autre. Fermeté et humanité, c’est ça l’équilibre, un équilibre qui demande du courage. Arrêtons d’opposer l’économie et le social."
"Moi j’ai une culture d’unité. J’ai pas choisi les soldats qu’on me demandait de commander, j’en faisais des groupes, des compagnies, des régiments, des brigades, capables de travailler ensemble."
"Il faut commencer par l’école, donner le cadre"
"Je suis allé au Mureaux un peu par hasard, avec une association, puis j’ai creusé mon sillon", raconte-t-il. "J’y ai vu des gens incroyables : des animateurs, des volontaires, des gens qui quittent tout pour s’occuper des jeunes. L’autre chose qui m’a frappé, c’est qu’aucune situation n’est désespérée. Je l’ai vu dans l’armée : ces jeunes issus des cités, j’en ai commandé. Et puis j’en rencontre qui sont bien cabossés, qui ont déjà fait plusieurs séjours en prison, qui sont ballotés entre les caïds et les salafistes qui font pression. Il faut retrouver cet équilibre que l’on a perdu."
Pour lui, rien n'est perdu : "Ces jeunes qui partent en vrille, il faut les remettre dans le droit chemin, avec une approche globale. Pas simplement avec la sécurité et l’ordre, parce que ça ne résout pas le mal en profondeur. Il faut commencer par l’école, donner le cadre, avec le trinôme parent/professeur/enfant. Ensuite, la sécurité : restaurer l’ordre pour que les gens qui habitent dans ces territoires puissent vivre en paix. Enfin, remettre de l’emploi, de l’économie, rénover les logements… Le plan Borloo suite aux émeutes de 2005, c’était une excellente direction !"
"Ce que j’aimerais, c’est un peu plus d’anticipation"
Que pense-t-il de la vie politique actuelle, qu'il accuse d'être trop technocratique ? "Je crois qu’une démocratie vivace, elle retrouve ses racines : le pouvoir du peuple, par le peuple, pour le peuple. Il faut retrouver l'origine de notre Constitution de 58."
"Aujourd’hui, je crois que le droit et la finance pèsent beaucoup trop dans les décisions de l’État, on oublie trop les conséquences concrètes sur les citoyens des décisions que l’on prend. Il faut revenir à la finalité, le service des citoyens : toute autorité est un service."
"Il y a une forme de retour au politique dans la crise, inéluctablement", reconnait Pierre de Villiers. "Nous sommes en crise sanitaire, en crise sécuritaire, en crise économique, en crise sociale et en crise politique. Ce que j’aimerais, avec mon expérience des crises, c’est un peu plus d’anticipation : on a l’impression qu’on court derrière les terroristes, qu’on court derrière le virus, qu’il y a une succession de réunions, de conférence de presse, annonçant des mesures les unes après les autres… Mais pour fédérer, pour emmener les gens, il faut de l’anticipation. Il faut une petite lumière au bout du tunnel qui mène à la sortie de crise, pour que le moral des troupes soit bien pris en compte."
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