Gérald Bronner : "Nous avons huit fois plus de disponibilité mentale qu’au début du XIXe siècle !"

Gérald Bronner
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Gérald Bronner ©Maxppp - Alexandre MARCHI MaxPPP
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Gérald Bronner, sociologue, auteur de "Apocalypse cognitive" (Puf), est l'invité du Grand entretien du 7/9 de France Inter.

Avec
  • Gérald Bronner Professeur de sociologie à l’Université Paris Diderot - Paris VII

Dans cet ouvrage, il évoque la manière dont nous utilisons le temps de plus en plus important que nous avons aujourd'hui sans occupation pour notre cerveau. "Jean Perrin, prix Nobel de physique et ministre, avait fait une allocution magnifique annonçant que l’humanité serait bientôt libérée de son esclavage, du travail, des tâches domestiques… Et s’adonner à la contemplation d’objets intellectuels. Je ne vous cache pas que cette prophétie s’est révélée n’être que partiellement vraie ! Mais il avait raison sur la question de la disponibilité mentale. Il est vrai que l’Histoire de l’humanité peut être racontée comme un mouvement de libération de notre temps de cerveau disponible. Songez par exemple que nous avons huit fois plus de disponibilité mentale qu’au début du XIXe siècle ! La vraie question, c’est de savoir ce qu’on en fait."

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"Notre cerveau est capable de traiter de l’information même quand il ne s’en aperçoit pas", rappelle le sociologue. "Il s’intéresse, presque en-deçà de notre volonté, à un certain nombre d’informations : la sexualité, les informations égocentrées, la conflictualité, la peur… Toute une série d’éléments saillants qui vont être révélés par ce qui se produit aujourd’hui : l’alignement généralisé, notamment sur le marché de l’information, le marché cognitif, entre toutes les demandes possibles et toutes les offres disponibles. Cet alignement provoque un dévoilement de ce que nous sommes, de nos compulsions, de nos attentes spontanées : c’est ça que signifie “apocalypse”, la révélation. Toute la question est de savoir si l’on va oser regarder dans le miroir !"

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"La vérité a besoin d’être défendue dans ce marché dérégulé de l'information"

Il assure qu'il ne faut "pas diaboliser les écrans, qui sont seulement un média comme un autre", même s'il y voit "l’arme du crime idéal pour ce cambriolage attentionnel". "Ça dépend de comment on en use : la bataille n’est pas perdue. Il faut prendre conscience de ces boucles qui peuvent être addictives, comme les informations auto-centrées. Partout, il y a des appeaux, des pièges intentionnels. La question de la conflictualité, par exemple, est intéressante : j’ai pu constater que, sur des personnages publics aussi différents que Manuel Valls, Alain Finkielkraut ou le rappeur Booba, on n’imagine pas facilement que ce qui nous intéresse le plus dans leur œuvre, ce sont lers moments de conflictualité. Les recherches Google à propos de Booba par exemple, c’est la bagarre avec Kaaris dans un aéroport parisien ; pour Finkielkraut, ce sont les deux moments où il s’est fait agresser : pour Valls, c’est le moment où il a été giflé pendant la campagne des primaires."

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Il y voit aussi l'explication de la montée des fake news : "Ce qu’on imaginait, c’est que dans un marché des idées, par la vertu de la concurrence, ce seraient les produits les plus vrais, les mieux argumentés qui domineraient. Jefferson disait : “La vérité n’a pas besoin d’être défendue, elle se défend toute seule.” La terrible conséquence de ce qu’on observe, c’est que ce n’est pas vrai : la vérité a besoin d’être défendue, tout simplement parce que sur ce marché dérégulé de l’information, dans cette cacophonie, ce qui l’emporte ce sont les meilleurs produits cognitifs. Pas les plus performants du point de vue de la rationalité, mais les plus performants du point de vue de nos attentes intuitives. La crédulité n’est qu’une facette de cette apocalypse cognitive, mais une facette extrêmement inquiétante, notamment à l’heure de la pandémie."

"Les journalistes devraient réfléchir à une institution entre pairs pour réguler"

"Ce qu’on voit, c’est qu’il y a une interpénétration des logiques du numérique dans les médias conventionnels", regrette Gérald Bronner. "Ces derniers ont besoin, malheureusement, pour des raisons de survie, de capter de la disponibilité mentale. La scandale par exemple est un très bon piège attentionnel. Mais nous sommes tous responsables : les médias sont responsables, car ce sont des professionnels de la diffusion de l’information, et en même temps il y a une demande forte."

Quelles solutions pour les médias, afin de ne pas devenir des "pièges à attention" ? "On ne peut pas résister, on ne peut pas regagner de la liberté éditoriale, si l’on est abandonné à la logique d’un marché dérégulé. Il faut des formes de régulation : j’en connais au moins une, l’institutionnalisation de la régulation. Je ne suis pas sûr que le CSA soit aujourd’hui, compte tenu de la réalité numérique, l’instance idoine, mais je le redis : les journalistes devraient réfléchir à une institution entre pairs (or le président du CSA est nommé par le pouvoir politique) pour réguler."

Quitte à risquer une censure ? "À partir du moment où vous parlez de régulation et de modération, il y a une hiérarchie des contenus qui est proposée. On peut appeler ça de la censure, on peut aussi se rappeler qu’au contraire, la pression concurrentielle organisée sur un marché dérégulé, c’est la pire des censures. C’est celle qui va vous conduire à traiter une information plutôt que telle autre parce que vous espérez un nombre de clics et de partages."