Patrick Boucheron : l'Ukraine, "c'est le retour de la guerre, pas le retour de l'histoire"

Patrick Boucheron
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Patrick Boucheron ©AFP - ULF ANDERSEN / Aurimages via AFP
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Patrick Boucheron, historien, professeur au Collège de France, auteur avec Mathieu Riboulet de "Nous sommes ici, nous rêvons d’ailleurs" (Verdier), est l'invité du Grand entretien.

Avec
  • Patrick Boucheron Historien, professeur au Collège de France, titulaire de la Chaire d’histoire des pouvoirs en Europe occidentale (XIIIe-XVIe siècle)

Patrick Boucheron raconte la genèse de ce livre, qui rassemble des extraits de textes que les deux hommes, lui et son ami l'écrivain Mathieu Riboulet (décédé en 2018), ont prononcé dans le village de Lagrasse en 2017, à l'occasion des "conversations sur l'histoire", que l'historien anime chaque été au "Banquet du livre". Ce livre, "Nous sommes ici, nous rêvons d’ailleurs" évoque "le rapport entre l'intime et la grande Histoire", commence-t-il.

"C'était un entre-temps assez privilégié. [Mathieu Riboulet] m'avait fait l'incroyable confiance de m'accompagner dans un exercice que je faisais tous les étés à Lagrasse : de parler d'histoire sous une halle, à des gens qui venaient nous entendre et partager ce moment", raconte-t-il.

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Les deux hommes avaient déjà écrit un livre ensemble, "Prendre dates. Paris, 6 janvier - 14 janvier 2015", sur les attentats en 2015, à propos de la question "non pas de l'identité, mais de l'identification".

Le festival de 2017 dans le village de Lagrasse intervient peu de temps après le succès de "L'histoire mondiale de la France", best-seller de Patrick Boucheron. Ce nouveau livre "Nous sommes ici, nous rêvons d’ailleurs" y fait écho dans une certaine mesure : "Cet été 2017, j'ai voulu, par jeu, montrer que dans ce titre oxymorique, on n'avait pas à choisir entre faire l'histoire du monde, et de l'endroit où on était."

J'étais à Lagrasse et j'ai donc décidé qu'on fasse "l'histoire mondiale de Lagrasse".

Un ouvrage poétique et littéraire

Ce livre, poétique et littéraire, est aussi pour lui une manière de rappeler que le rôle de l'historien connu publiquement "n'est pas simplement de vibrer lorsqu'il y a un temps fort de l'actualité. C'est reconnaitre dans l'histoire une sorte de rhapsodie des temps faibles."

Parfois je veux retrouver l'intensité poétique d'un moment plus discret

Selon Patrick Boucheron, l'idée principale de ce nouveau livre, "Nous sommes ici, nous rêvons d'ailleurs" : c'est avoir le droit "d'être particulièrement ému et attendri par l'endroit où le hasard nous a posé, sans pour autant considérer que tout ce qui n'est pas d'ici ne vaut rien."

Eric Zemmour : "le nom de la falsification de l'histoire"

Sur Eric Zemmour, il déclare : "on ne saura jamais ce qui se serait passé si on n'en avait pas autant parlé. Il n'y a pas de pays B où on aurait décidé à partir de septembre qu'après tout, il n'était pas candidat et qu'on n'avait pas à saturer le débat public de ce syntagme."

Eric Zemmour, "c'est le nom de la falsification de l'histoire"

Il reprend, sur le fait qu'Eric Zemmour ne considère pas qu'il y ait de consensus historique sur le rôle du maréchal Pétain dans la déportation des juifs : "c'est très important de faire entendre qu'il y a des historiens et des historiennes, qui travaillent, et qui à un moment s'accordent sur un savoir qui ne leur est pas donné mais qu'ils ont construit."

Montée de l'extrême droite dans les urnes

Quant au score de l'extrême droite au second tour de la présidentielle (41,5%) : il y a un contexte "à une séduction très forte pour une tentation autoritaire, il faut en tenir compte", analyse-t-il.

Notre responsabilité c'est de trouver des récits entrainants sur ce qu'est faire société, et rappeler que l'identité ce n'est pas seulement l'endroit d'où on est, mais l'endroit où l'on va.

"La démocratie est un projet à accomplir, qui est toujours déjà devant nous", conclut-il.

La dangereuse idée d'un "retour de l'histoire"

Sur la guerre en Ukraine enfin, il rappelle que l'idée d'un "retour de l'histoire", locution largement utilisée dans ce conflit, est dangereuse, car "ça veut dire que [l'histoire] s'était absentée."

Le magazine américaine Time a notamment titré en Une "The return of History", sur une image de chars en Ukraine. Selon Patrick Bucheron, cela représente "le retour de la guerre, pas le retour de l'histoire".

Vous voyez comment Poutine gagne les esprits en traitant tous ses ennemis de nazis ?

"Nous, on dit que c'est la première fois depuis la Seconde guerre mondiale qu'il a une guerre en Europe. Pardon ? On ne se souvient plus du siège de Sarajevo ? C'était il y a trente ans."