Olivier Blanchard, professeur émérite au MIT, ancien directeur du département de recherche au FMI, Jean Tirole, président honoraire de l'école d’économie de Toulouse (TSE), prix Nobel d’économie 2014, sont les invités de 8h20.
- Olivier Blanchard
- Jean Tirole Economiste distingué notamment par le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, président honoraire de la Toulouse School of Economics, directeur d’études à l’EHESS
Dans le rapport qu'ils viennent de rendre avec une trentaine d'économistes, Jean Tirole estime qu'"il y a des questions importantes, presque existentielles pour notre avenir. Des questions qui n’ont pas été vraiment traitées, en France comme ailleurs. Quand le président nous a demandé de former une commission indépendante, dont nous avons choisi les membres, nous étions assez enthousiastes !"
Pour Olivier Blanchard, les problèmes évoqués dans le rapport, "on les avait avant et on les aura après [le Covid], c’est pour ça qu’on y revient maintenant qu’il a moins d’importance. Je crois que le Covid a montré que quelquefois, le monde est exposé à des dangers énormes, et qu’il faut être prêts à réagir. Dans le cas des problèmes que nous évoquons, il y a un peu plus de temps, mais si on ne réagit pas, ce sera catastrophique. C’est ça le message de la crise Covid."
D'autant que ces problèmes sont moins immédiats donc moins visibles, selon Jean Tirole : "Si on ne fait rien pendant un ou deux ans, il ne se passe pas grand chose : les inégalités augmentent, le climat se détériore… Et du coup, d’un point de vue politique, c’est assez facile de procrastiner. C’est pour ça qu’au bout de 30 ans, ça commence à devenir très grave ! C’est tout le contraire de la Covid, d’une certaine manière."
La taxe carbone "indispensable", mais avec "un chèque énergie pour chaque Français"
"La taxe carbone est absolument indispensable, mieux structurée qu’elle n’a été", assure l'économiste. "Elle a de gros avantages : elle permet à ceux qui peuvent économiser du carbone de le faire. Il faut réagir de façon beaucoup plus puissante au réchauffement climatique, mais il faut faire attention à combien on dépense. Ça permet aussi de donner des incitations à la recherche et au développement. Et il y a des milliards de décisions qu’on prend, entreprises et consommateurs : si j’ai à choisir entre des tomates qui viennent d’Espagne par la route et des tomates élevées sous serre en Île-de-France, tant qu’il n’y a pas de prix du carbone qui est appliqué, on ne peut pas savoir."
"Il faut faire mieux : s’inquiéter de ceux qui y perdent, en utilisant la taxe carbone pour compenser les perdants. Il faut mettre une taxe d’ajustement aux frontières, car il ne s’agit pas que nos industries se délocalisent à cause d’un dumping environnemental. Et il faut expliquer aussi."
Surtout, selon Jean Tirole, "il ne faut pas d’exemption, ce travers très français. C’est vrai que la taxe carbone est régressive, dans la mesure où les moins aisés vont payer plus en fonction de leurs revenus : mais il suffit de faire un chèque énergie pour chaque Français, pour que les catégories les moins aisées y gagnent."
"On peut avoir croissance et diminution des émissions de CO2", estime de son côté Olivier Blanchard. "C'est ce qui s’est passé depuis un certain nombre d’années, donc il n’y a pas à sacrifier la croissance pour éviter le réchauffement climatique, on peut avoir les deux. C’est juste une croissance un peu différente. Car arrêter la croissance serait terriblement coûteux en termes d’inégalités, par exemple !"
"Il faut compenser le milieu familial"
Sur les inégalités sociales et l'ascenseur social “en panne”, "on n’est pas à l’arrêt, mais on n’avance pas suffisamment. Quand on regarde les statistiques standard d’inégalités, en France elles sont plutôt meilleures qu’aux États-Unis. Mais en France, il y a un problème d’accès au bon boulot, de mobilité sociale. C’est manifestement la cause principale derrière cette réaction négative."
Jean Tirole constate également que "la principale inégalité en France, c'est que quand on est dans une famille défavorisée, on a très peu de chances d’accéder à des bons boulots. Il y a le problème de l’école, des réformes sont en cours et c’est une très bonne chose, en commençant par les plus jeunes car c'est là qu’on a le plus d’impact. Il faut compenser le milieu familial, développer Internet, avoir des classes plus petites… Les recettes ne sont pas très nouvelles !"
"Les enseignants sont mal payés, et il y a un problème de recrutement d’enseignants scientifiques, on a beaucoup de mal à avoir des profs de math et de sciences, alors que beaucoup d’emplois de qualité nécessitent des connaissances scientifiques."
"Une redistribution entre les gosses riches et les gosses pauvres"
Sur la taxation des successions, autre proposition clé du rapport, Olivier Blanchard l'assure : “C’est probablement quelque chose qu’il faut considérer, qu’il faut faire. On va un peu dans la même direction que Thomas Piketty : on voudrait qu’il y ait plus d’égalité des chances. Sur l’aspect capital financier, il y a des gens qui partent dans la vie en ayant une cuillère d’argent dans la bouche, et puis d’autres qui partent avec rien. On se dit qu’on peut peut-être redistribuer. L’impôt sur les successions tel qu’il existe aujourd’hui n’est pas idéal, il n’est pas adapté : il est basé sur ce que les gens donnent plus que ce que sur les gens reçoivent. L’idée qu’il devrait y avoir une redistribution entre les gosses riches et les gosses pauvres est une chose qu’il faut explorer."
"C’est un sujet très consensuel entre les économistes, qui peuvent avoir des idées différentes sur la taxation du capital en général", reconnait Jean Tirole. "Sur la question de l’héritage, c’est de l’égalité des chances. Le rapport ne dit pas de taxer plus, parce que les taux sont déjà élevés, mais il y a aujourd’hui beaucoup d’échappatoires et c’est problématique."