Pierre Moscovici , premier président de la Cour des Comptes, est l'invité du Grand entretien. Il réagit au rapport de Jean Pisani-Ferry sur la question de la transition écologique... et surtout de son coût.
- Pierre Moscovici homme politique
Selon l'économiste Jean Pisani-Ferry, la transition écologique va nécessairement passer par une hausse légitime de la dette publique, qu'en pense le premier président de la Cour des Comptes ? "Je trouve ce rapport tout à fait passionnant et très important", assure Pierre Moscovici. "C'est le grand défi pour les générations à venir, la transition écologique, et le rapport montre que ça a un impact sur la croissance à court terme, il faut le dire ; que ça crée des inégalités, et que ça exige des investissements massifs. Si l'on veut faire quelque chose, il faudra ces investissements : la question, c'est comment."
"Sur l'endettement, j'ai un point de divergence. Première chose : il vaut mieux s'endetter sur la position écologique que dans des dépenses de fonctionnement, ça je peux le comprendre. Mais je pense que globalement, la France atteint des niveaux d'endettement qui sont préoccupants", estime-t-il. "Si l'on s'endette plus pour la transition écologique, il faudra se désendetter plus pour le reste !"
L'ISF climatique "mérite débat"
Sur la question d'un ISF climatique, un prélèvement temporaire sur les plus hauts revenus, une idée que le gouvernement a rapidement rejetée, Pierre Moscovici a une position plus nuancée : "Je ne balaierais pas cette proposition d'un revers de main. Je pense qu'elle mérite débat. Je ne dis pas qu'il faut le faire, mais qu'il faut en discuter sur le long terme, réfléchir aux conditions. Mais la question des recettes ne peut pas être évacuée complètement, parce qu'il faudra bien trouver ces milliards : le risque, c'est que si on dit qu'il y a un coût de 35 milliards par an, que vous ne le financez pas par la dette, ou par l'impôt, vous n'allez pas le financer du tout. Or c'est un investissement qu'il faut faire pour les générations futures."
"Il faut qu'on ait ce débat dans sa globalité, et qu'aucune source de financement ne soit exclue a priori", conclut-il, tout en rappelant que selon lui, "ce n'est pas dans la fiscalité qu'on trouvera la ressource" pour financer ces investissements, "c'est dans le désendettement".
Sur la proposition d'Emmanuel Macron de baisser les impôts pour les classes moyennes, Pierre Moscovici estime que "c'est un effort redistributif qui peut être louable", "mais ce que je dis c'est que nous avons une dette publique d'un tel niveau que nous ne pouvons pas l'aggraver davantage". "Donc s'il y a des baisses d'impôts, il faut les financer. Il faut trouver à mon sens soit une économie de dépenses équivalente, soit une recette équivalente : ne creusons pas de trou supplémentaire, restons sur une trajectoire de finances publiques qui soit soutenable."
"Il faut changer notre modèle agricole"
Autre sujet polémique, le dernier rapport de la Cour des Comptes qui recommande de diminuer le cheptel bovin français pour pouvoir respecter nos engagements climatiques. "La Cour des Comptes n'est pas un pouvoir, nous sommes une institution indépendante qui alimente le débat public", rappelle son premier président. "Nous le faisons de manière impartiale, avec des rapports d'experts, qu'on peut discuter. Nous ne décidons rien. C'est pas un rapport contre les éleveurs et contre l'élevage ! Il dit que nous avons pris en France des engagements pour une économie neutre en carbone en 2050 : or 11,5 % des émissions viennent de l'agriculture, donc il faut changer notre modèle agricole. Il y a déjà une réduction qui est en cours, et nous changeons nos habitudes en mangeant moins de viande. Donc il faut réfléchir stratégiquement à long terme sur cette question : ensuite, tout ça est déformé, sorti de son contexte."
L'endettement atteint aujourd'hui 3000 milliards d'euros, mais qu'est-ce que ça signifie concrètement : "Les règles de la zone euro fixent des critères communs de gestion de nos finances publiques. En entrant dans l'euro en 2000, la France avait 58 % de dette publique dans le PIB, l'Allemagne 58 %. Plus de 20 ans après, la dette publique de l'Allemagne a augmenté de 8 %, celle de la France de 55 %. Nous sommes deux qui divergent par rapport aux autres. La dette publique paralyse l'action publique : une dette, ça se rembourse. En 2027, le service de la dette, donc la charge de remboursement, sera de 71 milliards. Ça deviendra le premier budget de l'État. Or chaque euro consacré à la dette, c’est un euro perdu pour la cause, c'est une dépense congelée qui bloque les investissements dont on a besoin."
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