

Le directeur général de l'AP-HP est l'invité du Grand Entretien de la matinale de France Inter. Il revient sur l'évolution de l'épidémie et sur les risques de relâchement de la population par rapport au confinement.
- Martin Hirsch directeur général de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris
Le dernier bilan de l'épidémie de Covid-19 montre un ralentissement du nombre de décès et de patients en réanimation. "On pourrait qualifier la situation comme une stabilisation après une semaine qui a été terriblement éprouvante, avec une dynamique du nombre de patients hospitalisés qui était très forte, on a une certaine stabilisation", explique Martin Hirsch, président de l'AP-HP. Mais il est incorrect, selon lui, de parler de pic : "La notion de pic, vous pouvez la bannir de votre vocabulaire : un pic, ça monte vite et ça descend vite. Là, ça a monté vite, et ça descendra lentement, ça va rester stable. Le terme de plateau est peut-être meilleur. Un plateau ça peut être entre deux montagnes, et l’objectif c’est que la deuxième montagne n’arrive pas, ou pas trop vite".
Cette stabilisation est une conséquence directe du confinement, selon Martin Hirsch, qui rappelle qu'avant l'entrée en vigueur des mesures, les projections montraient qu'il pourrait y avoir 4000 à 10000 patients en réanimation pour la seule région Île-de-France. Mais "si vous interrogez les experts ils vous diront que l’impact du confinement est un peu en-deçà de ce qu’ils attendaient", précise-t-il.
Pas de relâchement
Est-ce une raison pour se relâcher ? Surtout pas, pour Martin Hirsch : "Relâcher le confinement trop tôt, craquer, en ce moment, ça conduirait, alors qu’on ne peut parler que de stabilisation, alors qu’on est encore très proche des limites de la capacité d’absorption des patients très graves, à créer le débordement que nous avons réussi à éviter jusqu’ici grâce à la solidarité nationale", alerte-t-il. Car le confinement a eu aussi un effet négatif sur les populations :
Le confinement a eu un autre effet, c’est que la proportion de la population immunisée, qui porte les anticorps, est aujourd’hui faible : si on lâchait les vannes, c'est une population pas plus protégée qu'il y a un mois qui serait exposée au virus.
Sur la recommandation des masques "grand public" depuis la fin de semaine dernière, le directeur de l'AP-HP explique que ce revirement peut être aussi lié à la mauvaise utilisation des masques précédemment. "Il y a des personnes qui iront vers davantage de confinement, d’isolation. Ou d’autres personnes porteuses d’anticorps, présentant des caractéristiques d’habitat, qui auront plus de liberté. Mais il ne faut pas précipiter les choses. L’utilisation des technologies et des masques sera majeure pour le faire", détaille-t-il.
Faudra-t-il généraliser un géotracking, ou un port généralisé des masques, comme dans les pays d'Asie ? "Notre modèle doit allier liberté protection, solidarité et différenciation", explique-t-il, affirmant que ce ne doit pas être le virus qui modifie le modèle de société.
Sur les moyens hospitaliers
Répondant à un auditeur qui demande pourquoi l'AP-HP n'a pas mis en place d'hôpitaux de campagne comme on en a vu ailleurs dans le monde, Martin Hirsch explique que "pour prendre des gens en réanimation, il faut du matériel et du personnel technique" qui n'existent pas dans les hôpitaux de campagne, et pas non plus au Val-de-Grâce et à l'Hôtel-Dieu, qui ont été fermés. "Il faut pouvoir avoir non pas un hôpital de campagne mais un hôpital structuré supplémentaire : un bâtiment dont on a accéléré la finition va ouvrir à Créteil au milieu de la semaine". Pour l'hébergement des patients qui ne sont pas dans un état grave, il favorise l'utilisation "'d'internats, d'hôtels, d'hôpitaux pas aménagés pour les soins critiques".
Il y a un côté spectaculaire à transformer Central Park en hôpital ; chez nous c'est moins spectaculaire, mais il y a du sérieux.
En réponse à une autre auditrice évoquant le manque de moyens, il se dit d'accord sur le fait de "sortir des dogmes". "Je pense que tous ceux qui ont vécu de très près cette épidémie et qui la vivent sont immunisés contre le dogme. Ceux qui sont un peu plus loin ne sont pas forcément immunisés", précise-t-il, posant aussi la question de "savoir pourquoi on est aussi dépendants d'autres pays qui fabriquent des masques, des surblouses".
"La pauvreté est le meilleur allié du virus"
"Est-ce que dans nos hôpitaux on ne se préoccupe pas des populations les plus fragiles ? La réponse est si, bien évidemment", assure-t-il. "Tout le monde à ça comme obsession. Il y a des populations qui sont plus vulnérables au virus, parce que les facteurs de risque sont souvent liés à la vulnérabilité, qu’il y a des départements où il y a moins de lits en réanimation", dit-il, rappelant qu'au siècle dernier, "le principal lien entre la mortalité et la grippe espagnole a été fait avec le milieu socioéconomique".
Sur les risques de manque de médicaments, "il y a toujours des risques de tension mais ils le sont moins au jour le jour", précise Martin Hirsch. En revanche, il note que la présence des essais cliniques est considérable : "On a 11000 patients hospitalisés, il y en a 3300 qui participent à des essais, avec des médicaments qu’on teste hyper rigoureusement. c’est un exploit qui sera au service de tous les patients. C’est peut-être ça qui nous permettra de sortir du confinement". Ainsi, sur l'utilisation de la chloroquine, il propose de respecter la recommandation "d'utiliser ce médicament comme les autres dans le cadre d’essais pour avoir le plus rapidement possible des preuves".
"On traite les médicaments plutôt par des protocoles et des études plutôt que par des pétitions"
Enfin, précise-t-il, "depuis le début, il y a 2 000 ou 2 200 soignants qui ont été infectés. Parmi eux, quatre étaient hier en réanimation. Parmi les 2 200 un certain nombre sont guéris. Depuis plusieurs jours on observe une certaine stabilité. Pour tous, c’est le rappel, que ce soit dans leur trajet ou dans leur travail, que ce sont des gens qui prennent plus de risques que ceux qui restent chez eux. On les protège, on les remercie, et peut-être qu’un jour on reconnaîtra financièrement la valeur de leur travail".
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