Renaud Piarroux, chef du service de parasitologie à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et Antoine Flahault le Professeur de santé publique à l'université de Genève et directeur de l'Institut de Santé Globale sont les invités du grand entretien.
- Renaud Piarroux professeur à Sorbonne Université, praticien hospitalier à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), chef de service à la Pitié Salpêtrière, spécialiste des épidémies.
- Antoine Flahault Professeur et directeur de l’Institut de santé globale de Genève
Déconfinement : "C'est important d'avoir un horizon de temps"
Pour le professeur Antoine Flahault, "c’est réaliste de penser que la décrue sera largement amorcée le 11 mai, peut-être qu’on aura même de bonnes nouvelles avant. C’est important d’avoir un horizon de temps. J’espère que les premières mesures arriveront même un peu avant."
Renaud Piarroux est un peu moins optimiste : "Je souhaite que l’épidémie descende rapidement, en même temps j’ai un peu l’impression que cette décision est déterminée par autre chose que simplement la dynamique de l’épidémie, qu’on a du mal à anticiper à quelques semaines d’avance... C’est plutôt la synthèse entre les problèmes économiques et sociaux que pose le confinement, et la dynamique de l’épidémie. Il y a une forme de pari. C’est normal de prendre en compte tous les impératifs, mais c’est un pari parce qu’on n’a pas une vision très claire du comportement de l’épidémie dans les semaines qui viennent. Peut-être qu’avec les beaux jours il va y avoir une amélioration, c’est vrai que le confinement a donné un peu de résultats, il y a une baisse… Mais quand on regarde ce qui se passe en Italie, qui est en confinement depuis dix jours de plus que nous, il reste encore une transmission très élevée. C’est ça mon inquiétude."
Retour à l'école : "À l’heure actuelle, ça m’inquiète"
Le professeur Raoult pense que l'épidémie va "disparaître" ces prochains mois, qu'en pense son homologue Antoine Flahault ? "Pas plus que Didier Raoult nous ne sommes des devins : ni lui ni personne ne sait si l’épidémie va disparaître. Dans la première vague on a affronté les choses dans l’urgence. Si on a un répit estival, on pourrait utiliser ces quelques mois pour vraiment se préparer, en regardant des modèles un peu plus astucieux comme ceux de la Suède ou de l’Asie du Sud-Est (comme Taïwan, qui est à 100 km des côtes chinoises et a réussi à éviter le tsunami sans fermer ni son économie ni ses écoles). Je pense qu’il y a des leçons à en tirer."
Quid de la reprise de l’école ? Est-ce une bonne idée ou cela va-t-il diffuser à nouveau le virus ? "À l’heure actuelle ça m’inquiète", précise Renaud Piarroux. "Peut-être que quand on verra l’évolution dans les trois ou quatre prochaines semaines, je serai plus rassuré. Il y a encore beaucoup de virus en circulation. Ça fera revenir dans les transports en commun et dans la rue non seulement les enfants mais aussi les parents, donc donner au virus de nouveaux moyens de circuler."
"Il va falloir regarder sans dogmatisme les différentes approches"
Il rejette d'ailleurs l'idée d'une stratégie d'immunisation collective : "Je ne suis pas du tout d’accord avec cette stratégie qui dirait “faisons circuler le virus pour que l’immunité collective se mette en place” : on n’a eu effectivement que quelques % de la population qui ont rencontré le virus, et c’est déjà 15.000 morts. Il y a encore des milliers de morts qui vont avoir lieu, parce que les personnes hospitalisées ne vont pas toutes ressortir indemnes. Et on a finalement très peu de personnes qui ont rencontré le virus. Même si on dit qu’on ne fait ressortir que les tranches d’âge jeunes, les moins à risque, ça fait recirculer le virus, et les contacts entre générations feront que les plus anciens eux aussi seront atteints. J’espère qu’on trouvera d’autres solutions que l’immunité collective, et plus fines que le confinement."
Antoine Flahault estime lui qu'il faut observer toutes les possibilités : "L’immunisation collective, il y a trois pays qui l’ont envisagée : la Grande-Bretagne, qui a très vite fait marche arrière ; les Pays-Bas, qui eux aussi ont reculé ; et la Suède. La Suède, c’est intéressant, parce que finalement, ils sont les seuls à avoir tenu bon. Ces trois pays sont loin d’être farfelus en termes de santé publique. Les conseils du gouvernement suédois ne sont pas des conseils à la légère. Ils ont décidé de laisser ouverts les écoles, les bars, les restaurants, les cinémas… Mais ils ont fermé les universités. Leur approche est intéressante, parce que la Suède ne fait pas face aujourd’hui à un engorgement de ses hôpitaux. Son attitude extrêmement décriée, y compris par les pays voisins la Norvège et le Danemark, fait qu’elle ne s’en sort pas plus mal."
"Il va falloir regarder sans dogmatisme ces différentes approches, qui ne sont pas prises de manière isolée mais accompagnées d’un certain nombre de mesures", précise le professeur de l'université de Genève. "Par exemple, si vous laissez les écoles ouvertes mais que vous testez beaucoup pour identifier les porteurs du virus, que vous regardez tous leurs contacts, puis que vous les isolez, peut-être que vous pouvez rompre des chaînes de transmission. L’utilisation des masques est aussi une piste intéressante pour diminuer les risques de transmission. Il y a donc toute une série de mesures qui peuvent accompagner un déconfinement ou prévenir une nouvelle vague sans détruire l’économie et la vie sociale."
"Le confinement strict, c’est une stratégie très archaïque"
Le professeur Renaud Piarroux teste actuellement à l'APHP un protocole qu'il a déjà expérimenté en Haïti : "On avait une épidémie de choléra de plus de 800.000 cas. On a renforcé la surveillance épidémiologique, cartographié les zones où il y avait le plus de cas, et petit à petit mis en place une stratégie d’équipes mobiles, qui se rendaient sur les structures de soin des zones les plus atteintes pour se renseigner sur l’arrivée de nouveaux patients, prenaient contact avec le patient et sa famille, et se déplaçaient sur leur lieu de vie, pour aider la population sur place à se protéger du choléra. Petit à petit, on a étouffé l’épidémie pour arriver à une élimination totale du choléra il y a un peu plus d’un an."
"L’idée [si on l’applique en France] c’est d’accompagner le patient, de passer une alliance avec lui", précise-t-il. "En se renseignant sur ses conditions de vie et en envoyant des équipes à son domicile pour voir comment gérer le confinement, faire du dépistage autour du patient, et avec sa famille voir comment faire pour limiter au maximum la propagation. C’est dans l’intérêt du patient, qui n’a pas envie d’envoyer ses proches à l’hôpital. Le jour où on arrivera à le faire sur la grande majorité des patients, on aura un impact important sur l’épidémie. Il faut isoler très vite, chercher autour du patient s’il n’y a pas d’autre personne contaminée, et surtout les aider."
"Je pense que c’est vraiment cette stratégie qu’il faut utiliser, une stratégie du XXIe siècle", approuve Antoine Flahault. "Le confinement strict, c’est une innovation des Chinois pour Wuhan, mais fondée sur une stratégie très archaïque. Certes, on a diminué le nombre de contacts, mais on peut faire les choses de façon beaucoup plus respectueuse de la vie sociale, de la démocratie et de la vie économique. Ça n’a aucun sens de vouloir tester tout le monde, et d’ailleurs il faudrait répéter ces tests régulièrement, mais il faut tester les gens symptomatiques, même avec de petits symptômes, pour identifier très précocément un début d’infection, et isoler quelques jours le patient concerné."
Des tests plus ou moins fiables
Les tests, justement, sont accusés de ne pas être assez fiables. "Un test n’est jamais totalement fiable, et ça fait toujours de grandes controverses", rappelle Antoine Flahault, qui distingue deux types de tests posant chacun des questions. "Les tests pour l’identification du virus sont des tests de biologie moléculaire, ils sont à 100 % spécifiques : s’ils vous disent positif, vous êtes certain d’être porteur du virus. En revanche, ils ne sont pas totalement sensibles : parfois, ils rendent un résultat négatif alors que vous êtes porteur du virus. Peut-être qu’il était dans votre poumon et pas dans votre nez à ce moment-là. En revanche, les tests sérologiques ne sont pas sur le marché aujourd’hui, les normes ne disent en rien s’ils sont sensibles et spécifiques comme les tests que j’évoquais. Vous avez besoin pour l’instant de faire un peu de recherche pour déterminer si ces tests sont sensibles et spécifiques, pour donner des résultats intéressants."
"Les deux spécialistes sont d'accord sur une chose : il faut à tout prix préserver en priorité les personnes âgées. "95 % de la mortalité du coronavirus, c’est chez les personnes de plus de 65 ans", détaille Antoine Flahault. "Les personnes âgées sont à protéger au maximum, il ne faut pas renouveler le drame de la canicule en 2003. Il n’y a pas que le confinement strict, il peut y avoir des aménagements, notamment avec l’utilisation très précise des masques et protections, mais l’effort doit être maximal pour protéger les personnes âgées."
Retomber malade : "Ce serait très étonnant"
Peut-on retomber malade une fois guéri, comme le prétendent certaines études ? "Tout est possible avec un nouveau virus, puisque par définition on ne sait pas comment il se comporte", rappelle Antoine Flahault. "Mais ce serait très étonnant, il y a très peu de réinfections à la suite d’infection par virus ARN, comme ce coronavirus. Qu’il y ait des infections ultérieures, dans quelques années, pourquoi pas, mais dans les semaines qui ont suivi, non. Avec les histoires de tests pas très fiables dont on parlait, la grande probabilité c’est que [les cas signalés] étaient des erreurs de tests au départ, qui ont fait croire à une réinfection, alors que c’était une infection à un autre virus puis au coronavirus, ou le contraire."
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