

La journaliste Elvire Emptaz signe "Je suis dehors" (JC Lattès), un livre qui croise les témoignages de détenues et d'ex-détenues. Elle est notre invitée et elle est accompagnée de Bernie, l'une de ses témoins.
Sortir de prison est un choc parfois aussi violent que d’y entrer. Il y a tant de tabous sur la femme criminelle, tant de clichés aussi, que la journaliste Elvire Emptaz a eu envie de rencontrer des détenues et ex-détenues pour comprendre. Parmi elles, Bernie, qui raconte la vie en prison et le stigmate dont souffrent tout particulièrement les femmes quand il faut se réinsérer.
Extraits de l'entretien
La peur de la sortie
Bernie (nom d’emprunt) a été condamnée à une peine de 10 ans à l’âge de 18 ans. Emprisonnée à la prison pour femmes de Réau, elle raconte sa première sortie pour une permission de deux jours : « En prison, je ne voyais qu’un mur gris et de la pelouse. La première fois que je suis sortie, j'avais l'impression d'être ivre. Trop de choses bougeaient. On est venu me chercher en voiture, je n'avais qu'une hâte : arriver à la maison et m'enfermer à nouveau. »
La journaliste Elvire Emptaz : « Ça a été la première surprise à l'écriture de ce livre ("Je suis dehors" (JC Lattès)). Il existe une peur prégnante de la sortie chez toutes les femmes que j'ai pu rencontrer. On peut s'étonner qu’elles appréhendent de quitter un endroit aussi insalubre et horrible comme peuvent l'être à peu près toutes les prisons en France… Mais elle est bien là. C’est l‘angoisse de retrouver la société, de devoir se réhabituer à des gestes du quotidien très concrets comme avoir un trousseau de clés, ne pas le perdre, éteindre la lumière, fermer le robinet…. »
Se déshabituer de la prison
Bernie confirme. Si elle a eu la chance d’avoir les clefs de sa cellule après une période avec un bon comportement, A sa première permission, elle a, dit-elle : « oublié d’éteindre la lumière. Comme j’ai oublié d’appuyer sur les robinets. Mon mari m’a dit « Mais c'est pas Versailles ici ». Je lui disais aussi constamment les horaires. »
Elvire Emptaz explique cette obsession des horaires : « C’est un conditionnement, un abandon du corps, et de prise de décision qui font qu’à la sortie, ces femmes ont la crainte de ne pas pouvoir être capable de faire un trajet en transports en commun ou d’aller faire ses courses. L’abandon est très fort en détention.»
Retrouver son lit
Bernie raconte : « Retrouver mon lit a été quelque chose de catastrophique. Je n'arrivais pas à dormir. Comme en prison, on a de tout petits lits, dans le lit conjugal, je ne prenais que ma petite place. Je dormais au bord du lit. J’étais habitué à quelque chose de dur. Je n’arrivais plus à retourner au confort.
Sur la propreté, je nuancerai. C’est comme à l’extérieur : il y a des gens propres et des gens qui ne le sont pas. J’ai eu la chance pendant la garde à vue d’avoir eu des policiers qui m’ont emmenée pour me laver. Ensuite, arrivée en prison, ma cellule, avait été laissée très sale par ma prédécésseure. Je ne pouvais pas poser mes affaires. Je travaillais auparavant dans une entreprise de nettoyage, je suis un peu maniaque. J’ai donc passé ma première nuit à nettoyer ma cellule. »
L’abandon du corps
Comme elle travaillait (centre d’appel, fabrication de petits objets pour hôtel de charme…) à 7H30, Bernie se levait tôt, se lavait, et se maquillait. Quand la surveillante venait la réveiller, elle était déjà prête. Pour Elvire Emptaz : « En prison plus qu'ailleurs, le corps est vraiment une sorte de medium. C’est par lui que les femmes s'expriment. Il dégage des signaux de bien-être ou pas. Chez certaines femme que j’ai vues à la sortie, il était indétectable de deviner qu'elles avaient été en prison. Et pourtant, pendant leur incarcération, elles ne se teignaient plus les cheveux. Elles n'acceptaient plus de prendre soin de leur corps. Pour certaines, il s’agit d’une forme de punition. Beaucoup de femmes décident de se faire du mal, de faire passer leur culpabilité à travers leur corps. »
Je donne l'exemple dans le livre d'une femme qui n'a accepté de reprendre soin d'elle qu’après une permission avec sa fille. Avec des gestes très maternels, elle lui avait reteint, et coupé les cheveux. Ces moments, vécus comme un pardon, lui avait donné une forme de permission de prendre à nouveau soin d’elle. »
Après la sortie
Bernie raconte comment elle a compris sa peine de prison : « Au début, j’étais dans le déni. Je refusais de voir une psy avant de changer d’avis. Mais j’ai eu de la chance. Elle a su comment me parler. Elle m’a amenée à comprendre mon geste. Comme je ne rentrais pas dans le moule, on m’a pas mal cassé les pieds. Au moment de ma sortie, le juge m’a dit de fermer ma gueule. Cela m’a agacée. J’avais un bracelet électronique. Que je dissimulais. Mais personne n’était dupe. Mais c’était compliqué pour retrouver du travail.»
Pour Elvire Emptaz : « Il y a une vraie inégalité homme-femme à la sortie de prison. La plupart des femmes ont été abandonnées par leur entourage. Souvent, les queues aux parloirs dissuadent leurs familles. Et puis, géographiquement, les prisons sont pour la majorité, situées dans le Nord. Donc, si vous habitez dans le Sud, c’est compliqué.
Et aussi, pour les 3,1 % de femmes qui sont en prison, beaucoup le sont pour des crimes intrafamiliaux qui font exploser la famille. Regardez dans une fille d’attente pour un parloir pour les hommes, vous trouverez des épouses, des filles, des mères, des ex-compagnes… Les hommes plantent les femmes. Je cite dans le livre une détenue qui, en dix ans, n’avait pas reçu une seule visite !
Il faudrait qu'on accepte que les personnes qui sortent de prison ont fait leur peine. Qu’on leur laisse le droit de revenir dans le corps social, dans la société. Il faudrait que le jugement moral soit un petit peu moins fort, surtout pour les femmes qui ne sont pas des monstres. »
Pour en savoir plus, écoutez l'émission...
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