Professeur de sociologie émérite à l’université de Bordeaux 2 et directeur d’études à l’EHESS, François Dubet est l'invité d'Eric Delvaux pour la publication de son ouvrage "L’école peut-elle sauver la démocratie ?" paru aux éditions du Seuil.
- François Dubet Sociologue, directeur de recherche à l'EHESS
Depuis les années 60, la massification de l'éducation scolaire a été mise en place. Et cette école de masse aurait fini par générer des écarts entre les élèves jusqu'à créer un ressentiment antidémocratique. C'est en tout cas l'objet du livre "L'École peut elle sauver la démocratie ?" co-écrit par François Dubet et Marie Duru-Bellat.
Avant de détailler les limites de ce système, il faut d'abord rappeler que dans les années 50, la moitié des élèves n'obtenait pas de certificat d'études primaires. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Et cela, on le doit à l'école de masse.
Quelles sont les promesses de la massification de l'éducation ?
François Dubet tient d'abord à rappeler que le livre qu'ils ont fait n'est pas du tout un livre hostile à la massification.
On essaie d'y montrer les paradoxes dans lesquels elle nous a enfermés, mais évidemment, il faut savoir d'où on vient.
En 1950, 50% d'une classe d'âge passe le bac. Un enfant d'ouvrier jugé très bon n'entre pas en 6ème alors qu'un enfant de cadre jugé médiocre rentre en sixième souligne François Dubet.
Donc on peut déjà dire que l'on est sorti d'une inégalité considérable. Par ailleurs la massification a reposé sur trois promesses.
- La première, c'est de dire que si tout le monde entre à l'école, les inégalités seront réduites et donc ça fera plus de justice. Et d'une certaine manière, c'est vrai.
Aujourd'hui, un enfant d'ouvrier qui rentre à l'université n'est pas une exception admirable.
"Ensuite, les femmes ont énormément gagné avec ce système. Elles ont gagné le match scolaire. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'elles ont gagné le match qui suit dans la vie professionnelle."
- La deuxième est la promesse d'efficacité
"Plus les gens sont éduqués, plus ils sont efficaces, plus ils sont rationnels, plus ils sont bons dans le travail, plus ils sont épanouis."
- La troisième est celle de la démocratie
"C'est la promesse de Victor Hugo, c'est de dire que si j'ouvre une école, je ferme une prison. Parce que l'école ce sont les Lumières. Donc, plus la jeunesse sera éduquée à l'école, plus elle adhérera profondément aux vertus de la démocratie, la tolérance, la croyance dans la savoir, le progrès...
Sur ce point, François Dubet tient à nuancer la réussite de la massification :
"Pour l'essentiel, la question de notre livre n'est pas de dire arrêtons la massification. Revenons en arrière. Tout cela serait totalement absurde."
Je crois que ce mouvement a engendré des paradoxes et des mécanismes qu'on ne peut pas ignorer au nom de la grandeur des objectifs.
Comment ce système est-il devenu contreproductif ?
"Si on prend les trois promesses, c'est le grand changement sur les inégalités scolaires. C'est un peu paradoxal à expliquer. Les inégalités scolaires ont été réduites, mais naguère, c'étaient des inégalités sociales qui commandaient l'accès même à l'étude. Aujourd'hui, tout le monde entre dans la même machine et on va avoir des inégalités qui vont être engendrées dans l'école et par l'école et qui sont d'ailleurs vécues comme beaucoup plus insupportables."
François Dubet nous explque que les petites inégalités qu'il y a dans le système se sont multipliées et sont devenues beaucoup plus intolérables. "Tous les parents le savent. Il faut "coacher" ces enfants parce que le système est devenu un système de petites inégalités et au bout du compte, pardonnez moi quand on regarde le recrutement des élites, ça n'a pas tellement changé."
Les inégalités scolaires en France sont plus grandes que supposeraient les inégalités sociales parce que nous avons aussi un critère élitiste très particulier.
"La singularité de la France c'est de faire de l'accès aux élites le critère essentiel des parcours scolaires, ce qui fait que vous êtes quasiment presque toujours défini par votre niveau d'échec."
Les diplômes sont-ils dévalués, à l'exception de ceux des écoles les plus prestigieuses ?
"Nous avons produit beaucoup de personnes diplômées. Beaucoup plus que d'emplois qualifiés correspondant. C'est d'ailleurs ce que la crise du Covid-19 a su révéler." Cependant François Dubet se veut rassurant, cela ne veut pas dire que les diplômes ne valent plus rien.
On a toujours intérêt à avoir un diplôme. Mais la promesse d'emploi qui l'accompagne est de plus en plus difficile à tenir.
Une éducation ratée est-elle plus nuisible que pas d'éducation du tout ?
"Je crois que d'une certaine façon, quand vous êtes défini par votre échec dans le système scolaire, vous ne pouvez pas maintenir votre dignité sans, au fond, rejeter les valeurs mêmes du système qui vous a fait échouer. On le voit régulièrement, je ne vais pas citer l'exemple de Trump.
La haine des intelligents, la haine des savants est quelque chose qui se fait savoir, lorsque l'on a réussi sans éducation.
Comment redonner des vertus à ce système de massification de l'école ?
"D'abord, il faudrait peut être arrêter de croire que l'école peut tout faire parce que parce que bon, j'ai tendance à faire le prof de temps en temps, mais on a confié à l'école républicaine ce que traditionnellement on confiait aux Eglises. Il fallait que l'école sauve le monde. Ce qui n'est pas possible."
Aujourd'hui un jeune passe plus de temps devant son écran que devant ses cours. Donc la vraie vie n'est pas l'école.
L'influence culturelle de l'école a beaucoup décliné et l'influence culturelle de l'école est plus faible que celle des écrans, c'est évident.
Il faut donc pour François Dubet se soucier en priorité de ceux qu'il qualifie de "vaincus d'office".
On ne peut pas tolérer que les vaincus s'en sortent si mal pour des raisons morales, mais aussi de manière un peu cynique, pour des intérêts bien compris.
"On n'a pas intérêt à avoir un développement du ressentiment, de la croyance dans les complots, dans les fake news. C'est un peu dangereux pour une démocratie."
Enfin il croit que notre modèle doit être remis en cause, à savoir on ne peut plus suivre le : tu vas à l'école, tu as un diplôme, et tu rentres sur le marché du travail.
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