Luc Rouban : "Le gros problème actuel, c'est le déphasage entre l'offre politique et la demande"

Buste de Marianne, symbole national de la République française.
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Buste de Marianne, symbole national de la République française. ©AFP - Ludovic MARIN
Buste de Marianne, symbole national de la République française. ©AFP - Ludovic MARIN
Buste de Marianne, symbole national de la République française. ©AFP - Ludovic MARIN
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Directeur de recherche au CNRS et membre du Cevipof, Luc Rouban est l'invité d'Eric Delvaux et Carine Bécard pour la sortie aux Presses de Sciences Po de son livre "Les raisons de la défiance".

Avec
  • Luc Rouban directeur de recherche au CNRS / CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po), auteur notamment de « Quel avenir pour la fonction publique ? », ed. La documentation française, 2017.

"Il faut séparer la méfiance de la défiance", commence Luc Rouban, auteur du livre "Les raisons de la défiance". 

Un point sur les définitions

"La défiance, c'est la certitude qu'on aura une forte probabilité d'être trompé. la méfiance, c'est plus soft. C'est l'idée qu'on va s'engager et faire confiance avec prudence."

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"La confiance, enfin, est la capacité de s'engager pour l'avenir. Faire un pari sur le comportement des autres, leurs décisions ou leurs actions". 

La défiance est une spécificité française en Europe

C'est ce qui ressort des études menées par Luc Rouban et ses confrères. "On a mené de très nombreux travaux comparatifs. En France, on a vraiment des niveaux de défiance très élevés en ce qui concerne les institutions politiques nationales, qu'on ne retrouve pas au Royaume-Uni ou en Allemagne". 

Une défiance généralisée vis à vis des syndicats, des partis et des réseaux sociaux. 

"En revanche, les niveaux de confiance sont assez importants dans les services publics : l'école, l'hôpital et même la police. 

En milieu politique, le seul qui attire la confiance, c'est le maire, et encore avec des problèmes. 

Comment mesurer la défiance ? 

"On s'appuie sur des enquêtes d'option avec des batteries de questions complètes". Ces enquêtes permettent de comparer le niveau de défiance dans le temps. 

"Ca commence avec Valéry Giscard d'Estaing, dans les années 1970. On voit la confiance diminuer après lui."

C'est très paradoxal, la défiance augmente à partir du moment où on commence à parler de normalisation et de moyennisation de la politique française. 

Violence physique envers les élus

Les agressions contre les élus locaux se sont multipliées récemment. "Ces éléments sont liés à un des ressorts fondamentaux de la défiance : l'anomie. "C'est le fait de perdre ses repères sociaux, et de ne se sentir appartenir à aucune communauté."

C'est très inquiétant, la moitié des enquêtés français se situent dans les anomiques. Or la violence, contre soi même ou contre les autres, trouve à se nourrir dans l'anomie. 

"Cette violence est désormais très individuelle. C n'est plus une violence militante, car le représentant n'est plus un représentant, il est considéré comme un individu privé."

Luc Rouban ajoute : "Selon les maires, le grand problème aujourd'hui est que beaucoup d'administrés se considèrent comme des consommateurs. Le rapport au politique n'est plus un rapport à l'intérêt général mais à l'intérêt particulier."

La notion même de représentant disparait. 

"C'est ce qu'on voyait dans le mouvement des gilets jaunes, qui ne voulaient pas entendre parler de représentants."

Abstention très haute

"Ce n'est pas un problème de compétence, c'est un discrédit général de la notion de représentation, avec un appel à la démocratie directe", selon le chercheur au CNRS.

Il y a aussi derrière cette abstention, le gros problème actuel : le déphasage entre l'offre politique et la demande.

"Globalement, les Français attendent plus d'autorité dans le domaine pénal et de l'immigration et un État providence équilibré, modéré. Peu de libéralisme économique et culturel. Alors que la droite offre beaucoup de libéralisme économique, et peu de libéralisme culturel, et la gauche l'inverse."

Démocratie représentative vs démocratie directe

"On assiste à la montée en force d'une attente d'efficacité, de transformation de la vie quotidienne, des pratiques sociales. C'est une attente souvent déçue. On arrive à un clivage entre ceux qui défendent la démocratie représentative, et d'autres qui rejettent la représentation, préfèrent l'action directe."

Ça rejoint un autre clivage, dangereux, celui entre d'un côté la République, qui repose sur une certaine rationalité, et de l'autre une politique de l'émotion et de la réaction immédiate. 

La défiance est-elle une menace pour la démocratie ? 

"Je pense que la démocratie est particulièrement menacée". 

Seulement un tiers des enquêtés soutiennent mordicus la démocratie, les autres sont beaucoup plus mitigés. 

La défiance est-elle imputable à la verticalité ?

"C'est toute l'ambiguïté, car la verticalité est aussi l'assurance d'une action qui peut être plus rapide et plus efficace. Je pense que ce n'est pas tant le problème des institutions qui se pose, mais de la démocratie. Car quand on met en place des référendums, on s'aperçoit que les niveaux de participation sont faibles, et qu'on attire seulement des gens déjà socialisés sur le terrain politique."

Le problème n'est pas dans les institutions mais dans le fonctionnement de la société

Démocratie et méritocratie

"La variable première de l'explication de la défiance c'est de voir son mérite reconnu ou pas", explique Luc Rouban. Selon lui, l'une des raisons pour lesquelles les Français ne vont plus voter, c'est qu'ils estiment que c'est reconnaitre un système qui ne les légitime pas."

Quel impact ont eu les propos d'Emmanuel Macron, qui "emmerde les non-vaccinés" ?

"C'est le paradoxe du macronisme. Emmanuel Macron a très bien compris qu'il y avait un problème de mobilité sociale en France. Mais de l'autre, c'est un peu son habitus, le fait de toujours rappeler qu'il y a ceux d'en haut et ceux d'en bas. Il y a ce côté observateur, prince philosophe chez lui qui regarde, plutôt qu'un président élu. 

Ça créé des tensions car ça donne l'impression d'aggraver la facture, et de souligner ce mépris social. 

Démocratie et crise sanitaire

"Toute la gestion de la crise sanitaire est conditionnée par ce malaise démocratie", poursuit Luc Rouban. "Ailleurs en Europe, le débat de la politique sanitaire est resté un débat de politique publique, partagé par la majorité et l'opposition. En France, la crise sanitaire s'est politisée, et c'est un prolongement de la crise politique sur les autres terrains."

Ceux qui n'avaient pas confiance dans le gouvernement, n'ont pas confiance dans les scientifiques. Plus vous vous rapprochez du pouvoir, du Roi soleil, plus le niveau de méfiance augmente. 

Quelles solutions à la défiance ?

Il propose d'accentuer la formation civique dès la scolarité. "Il y a un vrai problème de connaissance des institutions". 

L'autre partie, "la plus complexe, c'est de travailler sur la méritocratie". "En France, le fait de ne pas se sentir reconnu dans son travail, son mérite et dans ses efforts a des effets beaucoup plus délétères que dans d'autres pays. Ça implique de repenser complètement la mobilité sociale et professionnelle."

On risque d'avoir une nouvelle élection présidentielle par défaut

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