Rachid Benzine est islamologue, chercheur associé au fonds Paul Ricoeur, romancier et dramaturge ; Christine Guimonnet est professeure d’histoire et géographie au lycée Camille-Pissarro de Pontoise et secrétaire générale de l'Association des professeurs d'histoire-géographie.
- Christine Guimonnet Professeure d'histoire-géographie, secrétaire générale de l'Association des professeurs d'histoire et de géographie
- Rachid Benzine Islamologue, chercheur associé au Fonds Ricœur, romancier et dramaturge
Le 16 octobre 2020, le professeur d'histoire-géographie Samuel Paty était assassiné, pour avoir montré en classe des caricatures du prophète Mahomet. Ce vendredi, journée d'hommages dans les écoles, certains professeurs n'ont pas trouvé le temps ou la manière d'organiser un débat avec les élèves. Est-ce qu'on en demande trop aux enseignants ?
Pour Christine Guimonnet, les enseignants n'ont pas été assez accompagnés lors de l'hommage à Samuel Paty l'an dernier. "Quand il a fallu retourner en classe, on était encore sous le choc, on a très mal vécu de ne pas avoir ces deux heures de concertation pour discuter entre nous, réfléchir à la manière dont nous allions parler aux élèves. Une minute de silence c'est une chose, mais ça s'explicite. Il faut expliquer aux élèves pourquoi on va leur demander de se recueillir pendant une minute."
Elle raconte comment elle a organisé le débat dans sa classe de terminale cette année. "Je suis partie de leur ressenti de l'année dernière, comment ils avaient vécu le retour en classe, comment ils avaient compris cet assassinat, et si un an après ils avaient saisi certains enjeux. Ça a été une séance tout à fait productive."
Les élèves "comprennent très bien les tenants et les aboutissants, la différence entre les croyances et les connaissances, entre les dogmes et les personnes. C'est là, qu'on voit la portée du travail quotidien qu'on fait avec eux."
Y a-t-il désormais une forme d'auto-censure des enseignants ? "Il y a plutôt une forme de vigilance, pour être certain que ce qu'on a expliqué aux élèves a été bien compris. Un certain nombre de soucis avec les parents d'élèves démarrent avec quelque chose qui a été mal compris et qui est rapporté à la maison."
Pas question en revanche, pour elle, de faire disparaitre certains sujets du programme d'histoire. "J'ai la conviction qu'on doit pouvoir s'emparer de sujets y compris clivants, car c'est là qu'on va comprendre les besoins intellectuels des élèves. Ce qu'ils sont capables d'expliquer, de comprendre. Si on refuse d'entrer dans certains débats, si on les laisse sans réponse, on va fermer le débat, et ils n'auront pas compris."
Revendications religieuses à l'école
80% des enseignants ont déjà été confrontés à des revendications ou contestations religieuses. "Jai eu davantage de questions que de revendications, notamment sur la guerre d'Algérie", analyse Christine Guimonnet.
Pour Rachid Benzine, "les élèves veulent s'exprimer de plus en plus sur leurs croyances intimes, sur une part de leur identité." C'est ce que l'école doit apprendre à gérer aujourd'hui : "au niveau de l'histoire, par la contextualisation. Mais l'école doit aussi apprendre aux élèves à penser contre eux-mêmes."
Les jeunes musulmans connaissent-ils bien leur religion ? "Comme l'ensemble des Français, ils ont une inculture religieuse. Ils sont déconnectés de longues traditions, ils ont des bribes qu'ils vont chercher sur Internet et ils se se font une représentation religieuse avec. Elle répond plus à des besoins identitaires qu'à des besoins spirituels."
La République a-t-elle échoué à dans la construction de son récit national ? "Il y a tout un travail que nous n'avons pas suffisamment fait pour mettre en commun nos récits. Il faut être capable de faire de la place au narratif de l'autre. Si la République n'en est pas capable, des groupes vont se saisir de cette problématique et proposer une reconnaissance de substitution."
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