

C’est un résistant nommé Adolfo Kaminsky. A 84 ans, cet ancien faussaire qui, avec ses faux papiers, a sauvé tant de gens, est un homme tout-à-fait modeste. François Ruffin l'avait rencontré
- Adolfo Kaminsky photographe, ancien résistant et ancien faussaire
Souvent on entend dire - ou l’on s’entend dire - "Que voulez-vous que je fasse à mon niveau ?"
Lui l’a fait.
Il s'est lancé là dedans, sans trop réfléchir, avec une sorte de boussole minimum qui fait qu'il y a des choses qui se font et des choses qui ne se font pas. qu'il y a des choses qu'on peut admettre. Et des choses qui sont inadmissibles.
Un reportage de François Ruffin. Ecrit par Sarah Kaminsky.
C'est par hasard que la fille d'Adolfo Kaminsky, Sarah découvre les activités de son père : "Mon père était éducateur de rue. On était en banlieue. On était dans le 94 et donc lui, il s'occupait de ces jeunes et en fait c'est eux qui ont trouvé cet article dans Minute, il s'est fait descendre. Ils disaient 'l'ex faussaire se refait dans la morale'. Là, ce que j'ai compris, c'est qu'il avait eu des activités illégales, c'est à dire qu'il avait fait des faux papiers."
La famille Kaminsky est d'origine russe. Dans les années 1910, la famille quitte la Russie pour fuir les pogroms, les massacres de Juifs de Russie après différente pérégrination le père d'Adolfo choisit l'Argentine comme nouvelle patrie. Les Kaminski s'installent à Buenos Aires et c'est là que naîtra Adolfo en 1925.
Adolfo Kaminsky a raconté à François Ruffin comment il était devenu faussaire : "J'ai commencé à travailler très jeune, avant quatorze ans dans une teinturerie, et j'ai découvert la magie de la couleur et j'ai donc fait énormément d'expériences de recherche et d'études. Beaucoup grâce à mon patron teinturier, qui était ingénieur chimiste, et qui répondait à toutes mes questions toute la journée. Il faut dire que j'étais très manuel. J'ai toujours fait les jouets pour mes petits frères et sœurs. On n'a jamais acheté le moindre jouet à la maison."
FR : Qu'est ce qui va vous être utile par la suite que vous découvre à ce moment là ?
"J'ai fait des essais sur les encres indélébiles. Il n'y en a pas. Et puis, il y avait énormément de pénurie dans la région. C'était à Vire, en Normandie, où nous nous sommes repliés au moment de la menace de la guerre. Alors je fabriquais du savon, du cirage, des bougies, que je distribuait à la population gratuitement puisque j'étais contre le marché noir".
Le parfait petit chimiste
Un jour, en allant à son travail, il passe devant une pharmacie et voit une petite affiche faite à la main. "Laboratoire à vendre." Grâce au pharmacien, qui deviendra plus tard un ami et avec qui il participera à des actes de Résistance, Adolfo développe son petit laboratoire.
La guerre éclate. Adolfo et une partie de sa famille sont interné à Drancy. Il n'y restera que trois mois. Sa nationalité argentine lui a probablement sauvé la vie : "Nous avons été arrêtés à Vire dans un camion bâché par la Gestapo directement. On nous a transférés en chemin de fer vers Drancy. Mon frère a réussi à jeter quelques lettres sur la voie ferrée. Ces lettres sont toutes arrivées au consulat d'Argentine. C'est à dire que les cheminots ont dû mettre des timbres et les poster. C'est ça qui nous a sauvés."
Mais les rapports diplomatiques sont rompus avec l'Argentine et il faut des papiers aux Kaminsky. Et c'est ainsi que, de fil en aiguille. Adolfo sera contacté par un certain pingouin, qui lui fournira des faux papiers.
FR : Vous recevez de faux papiers, mais quand est ce que vous produisez votre premier faux vous même ?
AK : "Quelques jours plus tard, on m'a amené au laboratoire de la sixième. Le laboratoire de la sixième était surtout spécialisé dans le sauvetage des enfants juifs. C'était au 17, rue des Saints-Pères, au dernier étage, une chambre de bonne, tout en longueur, avec une longue table. Le travail principal, c'était d'effacer les tampons juifs en rouge, en diagonale, sur les cartes d'alimentation et sur les cartes d'identité. C'était d'effacer les noms typiquement juifs.
Par contre, les produits de décoloration décolore l'encre, mais les produits restent dans le papier et avec les émanations de transpiration du corps, les encres peuvent réapparaître. Le plus vite que j'ai pu, j'ai mis en route les possibilités de faire des tampons, d'imprimer, même sans presse, sans machine et sans gravure. Très vite aussi, j'ai mis en route la photogravure. L'impression parce que moi, ça me faisait peur, les bricolages et les décoloration, c'est toujours détectable par un oeil averti."
On demande alors à Adolfo de rédiger un document avec toutes les nouveautés, les méthodes, les améliorations, les petites trouvailles qu'il apportent à la fabrication de faux papier. Ce document sera envoyé à tous les autres laboratoires de la sixième à travers la France
L'homme qui a dit non
À la Libération de Paris Adolfo est engagé par les services secrets militaires français, mais ça ne lui plait pas. Il démissionne au moment des prémices de la guerre d'Indochine dans les années 50, parce qu'il ne voulait pas collaborer à la guerre coloniale.
Puis, de 1946 à 1948, au moment de la création de l'état d'Israël, il se rapproche du groupe Stern. Dont il s'éloignera lorsqu'on lui demandera de participer à une action violente dans laquelle il ne se reconnait pas.
Plus tard encore, il refusera de fabriquer des faux billets ou de devenir terroriste.
"Dans la majorité de mes activités clandestines, je refusais d'être payé pour ne pas être mercenaire et pour ne pas être obligé justement d'accepter tout et n'importe quoi."
Programmation musicale :
- Gaspard Batlik : "L'effort de soumission"
- Jean Ferrat : "Mourir au soleil"
- Jean Ferrat : "Un jour, un jour"
- Rocé : "Je chante la France"
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