"A-pop-calypse", d’Anne Schmauch

France Inter
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C’est une aventure, totalement délirante, aux allures de série B d’horreur, qui nous en met plein les yeux et les oreilles, et qui a pour décor une cité délabrée de la banlieue parisienne.

"Cité Joyeux, Tour B. Vingt-deux étages qui tombent en lambeaux. En face des vingt-deux étages de la tour B, les vingt-deux étages de la tour A. A et B sont reliées au sol par une passerelle qui enjambe un canal. La passerelle, autrefois, fut vaguement japonisante comme sortie d’un tableau de Monet. Vois la gueule du tableau, aujourd’hui. La passerelle pourrit lentement, rongée par les effluves douteux émanant du canal. Tout est mort ici, à commencer par cette flotte. Elle pue l’haleine du gars qui a du rat crevé coincé entre les dents. À se demander si, avec l’été, on ne va pas choper la peste rien qu’à respirer."

Comme les ascenseurs sont hors-service depuis des années, les locataires des étages élevés sont tous partis, ou presque. Au-delà du neuvième étage de la tour B, il n’y a plus qu’un squat de filles punk où flottent des vapeurs de beuh et d’encens, et puis tout en haut, au vingt-deuxième étage, une irréductible vieille folle qu’on ne voit jamais sortir de chez elle. Et si l’on redescend tout en bas, on trouve notre héros.

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"Moi, je suis le petit gars en phase de liquéfaction vautré sur les marches au pied de la tour B. Ce soir, j'ai l’énergie d’une méduse et la détermination d’une part de fromage à raclette. Je commence à en avoir l’odeur aussi, du fromage à raclette, parce que la chaleur qui monte du bitume en ce début d’été est pire qu’insoutenable.
Je m’appelle Roméo. Ma mère a trouvé ça – je cite – « choupinou » quand je suis né. Maintenant j’ai 20 ans et j’ai juste l’air con avec ce prénom de lover, moi qui passe mon temps à me prendre les pieds dans le grand tapis de la vie et de la drague."

En réalité, il ne tente plus rien. Sa vie s’est figée un an plus tôt, quand son grand frère Jean a disparu sans laisser de traces. Depuis, leur mère frise la folie, et lui, il passe le plus clair de son temps posté sur les marches à attendre le retour de Jean. À part ça, ses seules activités consistent à faire des courses pour les résidents des deux tours et à zoner avec ses trois amis. Il y a Zbeul, son pote d’enfance mytho et rigolard qui vit dans la tour A, et puis Carmen et Miranda : l’une est squatteuse et adepte d’expérimentations en tout genre, l’autre a un tempérament explosif et c’est l’amour de sa vie, un amour inavoué, bien entendu.

Roméo n'a pas une grande confiance en lui.

Non, il admirait son frère, qui était grand, beau, rayonnant, tout mieux que lui, et il s’en veut de ne pas avoir la moindre piste pour le retrouver. Il se sent nul et malheureux. Jusqu’au jour où, en ouvrant sa boîte aux lettres, il découvre avec un coup au cœur… une photo de Jean. C’est l’avis de recherche qu’ils avaient placardé partout avec sa mère. Et en travers de la photo, il y a ces mots :
« 22e étage. J’ai des choses à vous dire sur votre frère. Imogène. »
Vingt-deux étages sans ascenseur, donc, que Roméo va grimper en courant comme un dératé, et il n’est pas au bout de ses surprises. Des choses étranges ont déjà commencé à se produire les jours récédents, avec une créature qui a surgi du canal. Mais ce que Roméo découvre en arrivant au vingt-deuxième, ce qu’Imogène lui révèle et ce qu’elle lui demande, tout ça fait surgir beaucoup de questions, dont certaines qu’il n’a pas du tout envie de se poser. Et ça précipite aussi l’intrigue dans le fantastique, sur un mode complètement déjanté.

Il y a une ambiance incroyable dans ce roman

Les tours sont vraiment des personnages à part entière, et elles ont beau être agonisantes, on a toujours l’impression qu’elles retiennent leurs derniers habitants dans leur ombre poisseuse.
C’est presque un huis clos, dans lequel on a ce groupe de jeunes qui dégage une énergie folle : il sont à la fois embourbés dans leur vie et complètement déchaînés dans leurs conversations, ils passent leur temps à se chambrer, il y a des dialogues très crus, et en même temps, on sent qu’ils s’aiment et qu’ils sont vraiment là les uns pour les autres.
Et donc il y a cette vitalité extrême du récit, avec des images et une langue qui pulsent, c’est intense, et complètement rocambolesque, on rit, on hallucine, c’est un voyage. Et en même temps c’est aussi l’histoire d’une affirmation de soi, ça parle d’absence, d’amitié, et c’est par moments très émouvant.

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