Le fonio, une petite graine brune

Jean Mathat-Christol
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Jean Mathat-Christol nous parle d’une petite graine brune qu’on connaît depuis quelques années en Europe et qui a fait un long voyage depuis un continent à l’agriculture très riche – et non, ce n’est pas le quinoa d’Amérique du sud

Lorsque vous m’avez envoyé le livre de Manon Fleury, François-Régis, vous m’avez donné pour mission de lui trouver un complément d’information. Moi-même tout acquis à la cause des céréales, je me suis dit qu’il y avait sûrement une semoule divertissante ou une farine cocasse qui me permettraient de vous faire goûter aujourd’hui un tajine d’un nouveau genre ou un gâteau différent – c’est pour ça que j’avais pensé au lupin, dont la farine est très connue de nos auditeurs-trices vegans qui s’en servent notamment en pâtisserie comme substitut aux œufs. Pour moi, c’était plié.

C’est donc tout naturellement que, lorsque je vous en ai parlé après avoir vérifié que le lupin avait été mis de côté par Manon, vous m’avez répondu :

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C’est une très bonne idée, mais on fera plutôt ça pour une émission sur les légumineuses.

Car oui, abusé par son format farine, je ne me suis absolument pas interrogé sur la nature du lupin. Qui est donc une légumineuse.

Évoquons donc aujourd’hui d’autres céréales qui nous viennent d’autres traditions culinaires et que j’ai choisies, pour le besoin de cette chronique, parce qu’elles avaient un nom rigolo.

Avouez que en effet, si on ne vous dit pas qu’il s’agit de céréales, vous pourriez tout-à-fait croire que /teff/ serait le pseudo d’une nouveau Tiktokeur à la mode, /éleusine/, un prénom méconnu comme Mélisande ou Euphrosine, le chénopode, un insecte préhistorique comme les protogastéropodes ou encore, la canepetière, qui serait à Paimpol ce que la Canebière est à Marseille. Mais non ! il s’agit bien là de céréales, qui ont toutes en commun d’être méconnues et originaires du berceau de l’humanité, et j’ai aujourd’hui arrêté mon choix sur le fonio, domestiqué en Afrique, donc, il y a à peu près sept mille ans, c’est-à-dire à la même période que le mil et le riz africain. Le fonio comprend de nombreuses espèces, diploïdes et dodécaploïdes, dont certaines apomictiques. Voilà. C’est comme ça. Alors avant que vous ne me demandiez ce que tout ça veut dire, je n’ai gardé qu’un mot dans cette définition : apomictique. L’apomixie, c’est la multiplication asexuée d’une plante sans qu'il y ait union entre gamètes mâles et femelles, juste par la propagation de graines – en gros, le fait que le fonio soit apomictique explique comment cette plante a colonisé de nombreux milieux sans doute assez loin de son bassin d’origine.

Donc, pour le fonio, on a de très petites graines – regardez, je vous en ai apporté – dont il existe cinq variétés, parmi lesquelles le fonio blanc qui est domestiqué depuis si longtemps que les Dogons du Mali le surnomment le germe du monde, un raccourci mythologique qu’on retrouve dans d’autres cultures très attachées aux céréales

nourricières, qu’il s’agisse du grain de riz japonais, qui dans le mythe fondateur est donné par sa grand-mère à l’enfant céleste Hō no Ninigi no Mikoto pour le faire pousser sur terre ; plus connu encore, le commandement qui est donné à Adam et Eve, « Croissez et multipliez », une allusion au grain de blé tombé en terre et destiné à prospérer, ou, dernier exemple et après j’arrête, le mythe grec de Demeter, qui disparaît sous terre l’hiver et reparaît au printemps, comme les moissons dont elle est la déesse, connue très tôt sous le nom de Cérès dans la mythologie romaine, dont le nom qui rappelle un peu trop vite céréale est en réalité à la racine du mot latin qui a donné, beaucoup plus tard, notre verbe croître.

C’est bien beau tout ça, mais on fait quoi alors avec le fonio ?

Oui, pardon, je m’égare ! Le fonio a ce statut un petit peu étrange qui lui vaut d’être un aliment de base dans certains endroits d’Afrique de l’Ouest, mais aussi un aliment gastronomique, voire, prestigieux, qu’on réserve à des occasions particulières, au Togo, ou encore au Bénin. Paradoxalement, malgré sa croissance rapide et son implantation facile, c’est sa valeur nutritionnelle assez faible par rapport au sorgho, au mil ou au maïs qui lui ont aussi valu le nom de « riz de famine ».

Alors on peut faire plein de choses, au Ghana ou au Togo on fait des genres de couscous, au Nigeria on utilise la farine pour faire des bouillies non fermentées et, si je précise non fermentées, c’est aussi parce que l’homme est connu pour vouloir faire de la gnôle avec à peu près tout ce qu’il trouv e, et il faut dire que les céréales s’y prêtent particulièrement : au nord du Togo on fait ainsi une bière de fonio – mais, à l’importation, à environ 10€ le kilo dans votre boutique bio la plus proche, je me suis dit qu’on allait attendre un peu avant de monter une micro-brasserie dans l’auditorium de Radio France.

Donc aujourd’hui je me suis plutôt concentré sur les qualités mécaniques du fonio, qu’on recommande de rincer pour le cuire comme une semoule fine ; ou, à l’inverse on peut profiter de sa faculté à devenir gluant – un peu comme les graines de lin qui produisent un genre de mucilage au contact de l’eau. C’est en lisant le livre de notre invitée qui, pour rappeler l’association pas toujours évidente de céréales et de produits marins, évoque les sushis que je vous ai fait un maki (végétarien) en cuisant le fonio sans le rincer. Je l’ai assaisonné avec un peu de vinaigre de riz et j'ai mis des lamelles de courgette avec un peu de poivre et des carottes pour donner du croquant.

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