"Cher Frédéric Lodéon"

Frédéric Lodéon lors de l'enregistrement d'une émission en direct et en public, lors de la Folle Journée de Nantes en 2015
Frédéric Lodéon lors de l'enregistrement d'une émission en direct et en public, lors de la Folle Journée de Nantes en 2015 ©Maxppp - Ouest-France / Marc Ollivier
Frédéric Lodéon lors de l'enregistrement d'une émission en direct et en public, lors de la Folle Journée de Nantes en 2015 ©Maxppp - Ouest-France / Marc Ollivier
Frédéric Lodéon lors de l'enregistrement d'une émission en direct et en public, lors de la Folle Journée de Nantes en 2015 ©Maxppp - Ouest-France / Marc Ollivier
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André Manoukian rend hommage avec cette chronique au grand violoncelliste et chef d’orchestre Frédéric Lodéon qui a su partager le plaisir de la grande musique au plus grand nombre....

Je vous pose cette question, y a-t-il vraiment d’un côté une grande musique et de l’autre une musique plus… légère ? 

A cette heure funeste où les clashs se mettent en scène, si nous opposions simplement, comme le fit Duke Ellington en son temps, deux types de musique, la bonne et la mauvaise ? Du coup, on n’est pas vraiment plus avancé, vu que la musique, par essence, c’est subjectif, et que si je prends mon pied sur Brad Mehldau, Alex prend le sien sur Michelle Torr, mais ces deux catégories, la bonne et la mauvaise, ont au moins l’avantage d’abolir la frontière entre les genres. Parce qu’à y réfléchir 30 secondes, c’est Jean Seb [*Jean Sébastien Bach, ndlr], notre saint patron, qui inventa le jazz, du moins l’improvisation poussée à la perfection.. 

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Et puisque on parle de clash, cette pratique était organisée aussi du temps de Jean-Seb, des joutes musicales opposaient les virtuoses de l’improvisation, le public adorait ça, la plus célèbre étant celle où Bach devait affronter le champion français de l’orgue, Louis Marchand. Celui-ci, en tournée en Allemagne en 1717, débarque à Dresde, et quand il entend Bach, tout simplement et sans rien dire, il décampe. C’est vous dire à quel point Jean Seb était impressionnant. 

A l’époque on jugeait la qualité d’un musicien à la qualité de ses improvisations. Vous connaissez l’histoire de Frédéric II, le roi de Prusse éclairé qui convoqua Bach juste pour lui soumettre une compo affligeante, sur laquelle Bach va improviser un chef d’œuvre. Voilà ce que dit la chronique de l’époque : le 7 mai 1747, à peine Bach a-t-il mis le pied au palais que le roi, sans lui donner le temps de changer ses vêtements de voyage, lui fait essayer divers instruments à clavier et en particulier les sept pianofortes que Gottfried Silbermann vient de lui fabriquer et dont il est très fier. Anna Magdalena Bach dit fort joliment : 

Alors Sébastien s’assit, se mit à jouer, et peut-être quelques-uns des auditeurs se rendirent compte que cette nuit-là il y eut deux rois au palais. 

Bach improvisa une Fugue à trois voix, le roi pousse le bouchon et lui demande une fugue à six voix. Bach lui demande du temps et, rentré chez lui, va composer l’offrande musicale, une œuvre maitresse dans toute l’histoire de la musique occidentale. Tout ça à partir d’un truc indigent, il faut le dire. Tous les compositeurs derrière lui vont mettre de l’eau dans leur Bach.. 

Allez savoir pourquoi, au XIXe siècle, on mit fin à l’apprentissage de l’impro dans nos conservatoires ? La musique n’aime pas qu’on l’enferme, traversa l’Atlantique, et c’est par la grâce des afro américains et du jazz que nous revint la pratique de l’improvisation. 

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