Les vaches tunisiennes vagabondes

Vache en Tunisie
Vache en Tunisie ©Getty - DEA / ARCHIVIO J. LANGE
Vache en Tunisie ©Getty - DEA / ARCHIVIO J. LANGE
Vache en Tunisie ©Getty - DEA / ARCHIVIO J. LANGE
Publicité

Des centaines de vagues passent tous les jours en douce la frontière algéro-tunisienne. La faute à la contrebande qui achète à bas-prix des bovins côté tunisiens pour les revendre en Algérie. Recit.

Des vaches tunisiennes

C’est le petit matin quelque part le long des mille kilomètres de frontière qui séparent la Tunisie de l’Algérie. Alors que les deux pays dorment encore, on entend des beuglements, puis le crissement de voitures de police et enfin, des protestations.

C’était le 23 octobre, les forces de l’ordre tunisiennes, sur renseignements, venaient d’arrêter des contrebandiers tentant de passer en douce 20 vaches vers Algérie. L’opération fut un succès, les bovins tunisiens ont été sauvés in extremis de l’équarrissage algérien.

Publicité

Le problème, c’est que cette opération spectaculaire rapportée par la presse tunisienne n’est qu’un coup d’épée dans l’eau : depuis plusieurs semaines, les autorités tunisiennes ont noté une explosion de la contrebande de vaches vers l’Algérie.

Une explosion ? Mais de combien de vaches parlent-on ?

Selon les estimations les plus conservatrices, les contrebandiers parviendraient à faire passer 250 bovins par jour ! Plus encore le week-end, lorsque se tiennent les marchés dans les villes et villages frontaliers.

Un trafic d’autant plus incompréhensible qu’il y a une sévère pénurie de lait en Tunisie et, qu’à cause de cette contrebande, le cheptel tunisien est en train de fondre : il est passé en quelques semaines de 460 à 410 000 têtes.

La raison immédiate est bien connue : la vache se brade 200 dinars – soit une soixantaine d’euros - côté tunisien alors qu’elle se revend 15 fois plus cher côté algérien ! Par ailleurs, les routes de la contrebande sont séculaires entre les deux pays.

Pourquoi les éleveurs tunisiens se débarrassent-ils de leurs vaches ?

Parce qu’ils ne peuvent plus les nourrir, tout bêtement : le prix du fourrage et des compléments alimentaires pour bovins a littéralement explosé. Or, en Tunisie le prix du lait est administré, et son prix public est trop bas pour compenser l’explosion des coûts.

Le gouvernement refuse pour le moment ces augmentations : il préfère ruiner quelques milliers d’éleveurs plutôt que de mécontenter des millions de consommateurs. D’autant que le lait n’est pas n’importe quel produit en Tunisie.

C’est presque un produit identitaire depuis que le président de l’indépendance tunisienne, Habib Bourguiba, a bu en 1974 un grand verre de lait en plein ramadan et en direct à la télévision. Une provocation qui avait déclenché à l’époque la fureur des Saoudiens. Pour les Tunisiens, le lait, c’est donc synonyme d'’indépendance et de modernité.

Et côté algérien, comment expliquer une telle différence de prix ?

En Algérie la filière bovine est quasi inexistante : pour alimenter en viande rouge les 45 millions d’Algériens, il faut quasiment tout importer… d’Europe et notamment d’Espagne, le principal fournisseur. Mais tout a changé en janvier :

Pour punir les Espagnols de s’être rapprochés du Maroc, Alger a stoppé toute importation de viande rouge espagnole pour la remplacer par des carcasses françaises. En conséquence : les prix ont augmenté en flèche et les contrebandiers s’en donnent à cœur-joie !