

Quand on parle de « sucré », « salé », « amer » et aujourd’hui, pour ce premier épisode, « acide », est-ce qu’on fait référence à un goût ou une saveur ?
Aux deux, mon capitaine Gaudry ! Mais les deux mots ne se recouvrent pas parfaitement. Ils ont chacun leur originalité. On peut s’accorder sur une chose : dans le dictionnaire au mot saveur on trouve le mot goût et au mot goût on trouve le mot saveur… Mais le goût, en plus d’être une saveur, est un des sens de notre perception – à l’instar de l’odorat par exemple. Le petit plus de la saveur, quant à elle, est d’avoir l’intelligence du savoir. Eh oui, saveur et savoir sont cousins - ils ont la même racine sapere qui nous raconte que la connaissance et l’intelligence passe par le sens du goût – en tt cas, étymologiquement, originellement. Donc le temple du savoir est en fait un palais.
Et si je vous ouvre les portes de ce palais : vous atterrissez sur la langue. La langue pour goûter mais aussi pour décrire ce qu’il s’y passe. Et ce n’est pas une mince affaire de décrire une saveur. Je lisais (dans un bel ouvrage de Ryoko Sekiguchi) une citation d’un écrivain japonais nommé Ken’ichi Yoshida :
Le goût du canard on ne peut le décrire qu’en disant qu’il a le goût du canard.
Ou alors, on peut tenter quelque chose : pensez à un vin, par exemple : si on vous demande quel goût il a. Vous répondrez peut-être qu’il a des notes de cerise ou de cacao. Alors on sera en droit de renchérir : mais quelle est la saveur de la cerise, et celle du cacao ? Et vous vous engagerez dans la spirale du remplacement d’un mot par un autre, d’un ingrédient par un autre, pour tâcher de décrire ce que vous avez en bouche. Peut-être, in fine, que c’est bien ce contre quoi on nous met en garde quand on nous recommande de ne pas parler la bouche pleine…
Heureusement, la langue française ne nous laisse pas totalement en reste ! On a les saveurs primaires dont entend le nom dès qu’on est en âge de se voir porter cuillère en bouche.
Et pour entrer dans l’été, on aborde le sujet par la proue du navire avec une saveur en pointe qui, quand elle apparaît en langue française au XVIe siècle, caractérise un fruit : un fruit acide donc. Le mot vient du latin acer qui signifie « pointu, perçant » – vous reconnaîtrez peut-être la filiation qu’il entretient avec l’adjectif acéré comme une arme qui pique et transperce_,_ ou même acerbe comme un ton qui tranche et qui blesse –
Mais ce n’est pas tout parce que cette racine latine acer a été très productive dans le champ des saveurs et des sensations puisqu’elle a donné les mots : âcre, agrume et griotte mais aussi et surtout le mot aigre qui soulève pour nous une question intéressante. Quelle différence fait-on entre le mot aigre et le mot acide ? Ils ont la même origine et parfois le même emploi mais qu’est-ce qui les départit ? Au fil du temps, aigre s’est chargé de quantité de sens figurés et de connotations toutes peu ou prou péjoratives : aigre ce sera pour décrire une voix trop aiguë, une odeur âcre, des couleurs criardes et jusqu’à un comportement détestable.
Et pour cause, dans le langage courant, aigre a la valeur d’un superlatif et désigne donc ce qui est super acide. Et plus spécifiquement une acidité qui n’est pas de naissance, si je puis dire, mais qui s’est développée par exemple en vieillissant – c’est le cas du vinaigre qui est un vin devenu aigre avec le temps – ou en fermentant, comme une crème aigre. C’est cette transformation qui justifie la coexistence de ces deux mots qui ne disent pas tout à fait la même chose : en français l’acidité est neutre ou plaisante – l’aigreur en revanche, peine à se faire aimer tant elle est désagréable ou en tout cas perçue comme telle par un bon nombre de personnes…
Il n’y a bien que dans certaines préparations culinaires que l’aigreur est valorisée – personne n’a rien contre le vinaigre ! Et d’ailleurs parfois, pour éviter le mot aigre et ses connotations, on emploiera l’adjectif plus rare sur – S U R (avec un E final au féminin). C’est du même endroit que vient l’anglais sour – je vous dis ça parce que je suis une amatrice invétérée de whisky sour du fait de l’acidité conférée par le citron ! Peut-être reconnaîtrez la « surelle », nom régional donné à l’oseille avec une de ses variétés : la surette ! Eh oui, si l’acidité de l’oseille ne vous a pas échappé vous ne savez peut-être pas que le mot oseille vient du latin acidula, littéralement « acidulée ».
Et vous remarquerez que le mot acidulé qui vient tempérer, modérer l’acidité a une connotation presque encore plus positive qu’acide. Donc ce qu’on peut déjà constater grâce à la langue c’est que plus c’est doux plus le mot est positif – on a acidulé d’un côté - et plus la saveur est prononcée plus le mot se charge de connotations négatives – on a aigre de l’autre. Vous verrez que la langue fait à cet égard, et quelle que soit la saveur, l’éloge de l’équilibre et de la modération !
(Avant toute chose, leur histoire : acide a tout de suite, dès ses premiers emplois, désigné une saveur. Alors qu’aigre a d’abord servi à qualifier un tempérament et des comportements humains et animaux - notamment une férocité et une ardeur – un usage aujourd’hui oublié. Puis, dans un second temps aigre est devenu synonyme d’acide.)
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