

Bruno Donnet s'est intéressé à la manière dont les télévisions présentaient Taha Bouhafs, un jeune homme qui a été placé en garde à vue pour avoir tweeté qu'Emmanuel Macron était aux bouffes du Nord.
Taha Bouhafs filmait un certain Alexandre Benalla portant casque et brassard de police et qui molestait frénétiquement un manifestant le 1er mai 2018. Car c'est ainsi en se faisant une spécialité de couvrir les manifs pour le site de "Là bas, si j'y suis", que Taha Bouhafs s'est fait connaître. Il a aujourd'hui 22 ans, pas de carte de presse et fut candidat sous l'étiquette de la France insoumise lors des dernières législatives.
Fort de son tweet théâtral et de sa garde à vue, ce garçon-là a donc beaucoup intéressé les télévisions cette semaine, des télés qui ont toutefois éprouvé les plus grandes difficultés à le présenter. Pourquoi ? À cause d'une passionnante question que Marion Ruggieri a parfaitement résumé lundi sur France 5 :
Est ce qu'on peut être militant, activiste et en même temps, comme dirait l'autre journaliste ?
Un épineux dilemme qui a conduit à la quasi unanimité des chaînes à présenter Taha Bouhafs comme ceci :
Le journaliste militant Taha Bouhafs
Journaliste militant... La palme de l'embarras revenant à TF1, qui a tout simplement fait disparaître le mot journaliste dans sa présentation :
Le militant vidéaste proche des gilets jaunes Taha Bouhafs
Alors que nous disent au juste ces pudeurs sémantiques, elles signent qu'au motif que ce garçon ne possède pas la carte de presse et qu'il milite pour un parti politique, il ne peut être considéré comme un vrai journaliste. Alors, pourquoi ? Et au fait, c'est quoi un vrai journaliste ? Pas facile de répondre à cette question, mais on peut peut être essayer de contourner la difficulté en répondant par l'absurde en se demandant tout simplement qui sont les autres journalistes des vraies chaînes de télévision et des vrais magazines de presse écrite. Qu'est ce qu'ils nous disent ? Qu'est-ce qu'ils écrivent et ce qu'ils sont totalement impartiaux, contrairement aux fameux journalistes militants ?
Un exercice très amusant auquel je me suis livré toute la semaine et qui m'a permis de constater qu'à la une d'un vrai magazine comme Le Point, par exemple, on pouvait tranquillement titrer "Comment la CGT ruine la France ?" ; que lorsque BFM évoque les coupures d'électricité des griffes des grévistes, elle les qualifie comme cela :
La CGT Énergie revendique ses actions et annonce de nouvelles coupures sauvages
De coupures sauvages, c'est-à-dire en employant rigoureusement les mêmes termes que le premier ministre Édouard Philippe :
Lorsqu'on procède à des coupures sauvages d'électricité
Et qu'il n'est venu à personne l'idée d'évoquer un quelconque parti pris, pas plus que lorsqu'au 13 heures de TF1, Jean-Pierre Pernaut ne parle pas de syndicaliste déterminé, mais bien de :
Finie ou presque la grève dans les transports, mais certains jusqu'aux-boutistes de la CGT continuent leurs actions spectaculaires
De jusqu'auboutistes, pour ne pas dire casse-couilles...
Pour terminer, il faut ajouter que cet épisode illustre aussi merveilleusement le problème de la légitimité. Car figurez-vous qu'au cours de sa courte carrière, ce garçon a déjà relayé de fausses informations et tweeté plusieurs saloperies, notamment au sujet des dessinateurs de Charlie-Hebdo. Voilà pourquoi sa légitimité est largement questionnée.
Un problème très intéressant, mais que, curieusement, BFM a oublié de se poser cette semaine lorsqu'elle a choisi de faire intervenir ès qualités d'experts des questions de sécurité présidentielle. Excusez du peu. Qui ça ? Alexandre Benalla, vous m'avez bien entendu, qui a donc commenté la sortie d'Emmanuel Macron sans que ça ne pose le moindre problème à personne :
On voit que la zone n'a pas été dégagée avant la sortie donc ça donne cette impression d'exfiltration alors même qu'il n'a pas été exfiltré du théâtre. Faire partir un cortège présidentiel dans une charge en termes d'image, c'est catastrophique
Catastrophique, tu l'as dit, vous le voyez, il est dans de vrais médias des incongruités qui ressemblent à de vraies farces et qui pourtant, n'en sont pas...

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