

Cette semaine, le gouvernement a décidé de condamner, dans les médias, les images de violences policières qui affluent sur les réseaux sociaux depuis plus d’un an. Et si c’est arrivé cette semaine, ce n’est pas tout à fait par hasard…
Des images de manifestants matraqués par des policiers, touchés parfois à bout-portant par des tirs de LBD ou atteints, en pleine poire, par des grenades lacrymogènes, vous en avez forcément déjà vu des kilomètres, tout simplement parce que, d’après le recensement de notre confrère David Dufresne, depuis novembre 2018, il y a eu, en France, dans les manifs : 25 personnes éborgnées, 5 amputées d’une main, 318 blessées à la tête et 867 signalements pour dénoncer des brutalités policières et que, par conséquent, les occasions de filmer, portable en main, ce type de dérapages, ont été légion.
Seulement voilà, jamais, jusqu’ici, l’exécutif n’avait accepté de les condamner. Mais, cette semaine, retournement dans la communication gouvernementale puisqu’ Emmanuel Macron et Edouard Philippe ont fini par déclarer, en chœur, avec Christophe Castaner :
C’est l’honneur de la police qui est en jeu. On ne fait pas de croche-pied à l’éthique
« On ne fait pas de croche-pied à l’éthique ».
Alors que s’est-il donc passé ?
Eh bien figurez-vous qu’après des dizaines d’images ultra-violentes, après des scènes de tabassage en règle et de grenades reçues dans les mirettes, une séquence a fait florès ce week-end sur les réseaux sociaux. Une image de croc-en-jambe, plutôt anodine mise en regard de beaucoup d’autres, que le 20 heures de TF1 a commenté en ces termes :
C’est un geste qu’aucun policier n’a appris à l’école. Un croche-pied injustifiable qui fait tomber une manifestante à priori inoffensive
Et qui, sur France 2, a même suscité une question de Laurent Delahousse :
Regardez cette image juste. Quand vous voyez cette image, elle est finalement très violente
Question posée à Edouard Philippe qui lui a répondu ceci :
Elle est évidement violente et elle est évidement inacceptable
Cette image est « inacceptable » a dit le Premier ministre. Or, c’est très précisément l’inverse. C’est au contraire, parce que cette image de croche-patte est l’une des plus « acceptable » que le sommet de l’état a décidé de s’en emparer. Car en termes de communication, cette séquence-là est une aubaine ! Elle permet en effet d’incriminer un homme, un seul. De dire qu’il y a dans la police, comme partout, des crétins qui manquent à leur devoir le plus élémentaire. Et de jeter l’opprobre sur un unique individu, plutôt que d’avoir à se justifier sur l’ensemble d’un système politique, sur le choix d’une doctrine du maintien de l’ordre, qui a produit, en 2019, des dérapages insoutenables qui ont conduit à mutiler des manifestants, parfois totalement pacifiques.
Et pour bien mesurer la nature de ce changement de communication, il suffit de rapprocher deux types de réactions. Lundi par exemple, un journaliste de l’émission « Quotidien » a montré à Christophe Castaner les images d’un tir de LBD à bout portant. Réponse du ministre de l’Intérieur :
Moi je ne les qualifie pas, parce que je ne commente pas des moments dont je n’ai pas le début, le contexte
Pas de commentaire, because « pas de contexte ». Mêmes mots que ceux choisis, hier matin, sur France Inter, par la porte-parole du gouvernement, Sibeth N’Diaye :
Moi je ne connais pas aujourd’hui les circonstances exactes dans lesquelles ces vidéos sont prises
Il faut donc comparer ces deux réactions-là, à celle du même Christophe Castaner, interrogé, cette fois-ci, au sujet du croche-pied :
Je pense que c’est un acte honteux, j’ai demandé immédiatement que le policier soit identifié et qu’une procédure disciplinaire soit engagée contre lui
Eh voilà, magie de la communication politique, ici, plus besoin du « contexte », inutile de connaître les fameuses « circonstances exactes », on peut fermement demander une « procédure disciplinaire » pour un croche-pied, tout en refusant en même temps de condamner un tir de LBD dans les gencives. Vous le voyez Sonia, il est des croque-en-jambe biens pratiques qui permettent de faire chuter un simple fonctionnaire de police quand c’est tout le système politique du maintien de l’ordre qui est accusé de dérapages.
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