Cauchemars et rêves d’ange

France Inter
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« Nous parlerons d’une patiente qui avait peur de dormir, de rêves d’empêchement, ainsi que des anges et de leurs plumes... »

Les cauchemars, c’est l’irruption de l’angoisse dans le cocon douillet du sommeil. En tant que psychiatre, je sais que ça peut gâcher bien plus que nos nuits, nos journées aussi. Je me souviens par exemple d’une patiente qui ne voulait plus dormir, par peur des cauchemars qu’elle faisait chaque nuit. Depuis qu’elle avait eu une crise d’angoisse dans son sommeil, une véritable attaque de panique, elle faisait des rêves terribles, durant lesquels elle s’étouffait, se noyait, se faisait étrangler ou enterrer vivante : l’horreur... Alors, elle ne se mettait plus au lit, mais somnolait sur son canapé, sans jamais éteindre ni la télé ni la lumière. 

Heureusement pour la plupart d’entre nous, nos cauchemars ne prennent pas cette ampleur. Pour ma part, j’ai eu toute une période de ma vie où, je travaillais trop, où je me sentais toujours débordé, submergé, trop sollicité. Et durant cette période, je faisais très souvent des cauchemars d’empêchement : quelque chose ou quelqu’un m’empêchait de faire ce que j’avais à faire ; des gens m’empêchaient de monter dans le train que je devais prendre, des embouteillages m’empêchaient d’avancer sur le périphérique alors que j’avais un rendez-vous urgent, des barrières m’empêchaient de porter secours à mes enfants en difficulté... Ces cauchemars répétitifs d’empêchements, j’en émergeais en gesticulant et en hurlant de colère autant que d’inquiétude : je vous laisse interpréter tout ça comme vous voudrez... 

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Bon, heureusement, tous nos rêves ne sont pas des cauchemars. Il y en a aussi de très étranges. Je me souviens d’avoir lu un jour un livre du philosophe Clément Rosset qui racontait comment, lors d’une grave dépression, il avait l’impression irréelle de faire régulièrement les rêves de quelqu’un d’autre. Et puis, il y a des rêves pleins de charme et de poésie, comme celui-ci... 

“Une nuit, je faisais un rêve désopilant quand je fus réveillé par un frisson de l'air. J'ouvre les yeux, que vois-je ? Dans l'obscurité de la chambre, des myriades d'étincelles... 

Elles s'en allaient rejoindre, par tourbillonnements magnétiques, un point situé devant mon lit. Rapidement, de l'accumulation de ces flocons aimantés, phosphorescents, un corps se constituait. Quand les derniers flocons eurent terminé leur course, un ange était là, devant moi, un ange réglementaire avec les grandes ailes de lait…” 

Des rêves où l’on rencontre des anges, c’est merveilleux et délicieux. Mais peut-être que pour voir des anges la nuit, il faut les avoir déjà vu passer dans nos journées. Peut-être faut-il apprendre à les deviner derrière chaque petite grâce qui nous émeut, derrière chaque adversité aussi, qu’ils nous envoient comme un message ou une mise en garde. 

C’est le poète Christian Bobin qui nous éclaire sur le rôle de ces anges, qui est de nous aider, mais à leur manière : « L ’aide véritable ne ressemble jamais à ce que nous imaginons. Ici nous recevons une gifle, là on nous tend une branche de lilas, et c’est toujours le même ange qui distribue ses faveurs. La vie est lumineuse d’être incompréhensible ». 

Nos rêves aussi sont souvent lumineux d’être incompréhensibles. Il faut parfois se contenter de les savourer, d’en admirer la beauté et le mystère, de se souvenir d’eux, sans chercher forcément à les décrypter en force, attendant simplement qu’ils s’éclairent un jour d’eux-mêmes ; un jour ou jamais, quelle importance ? Du moment que nous avons rêvé, le plus important n’est-il pas déjà fait ?

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