Le Brésil a voté avant-hier, on a vu. Les Etats-Unis voteront mardi prochain, on verra le résultat. Mais scrutin après scrutin, les hommes réputés forts et antisystème, souvent d’extrême droite, s'imposent partout. Comme si la démocratie portait en elle-même les germes de la tyrannie. C'est "le monde à l'envers".
Soupesons bien le poids de cette image : au Brésil, les partisans de Bolsonaro ont donc défilé dans les rues de Rio et de Sao Paulo en poussant des cris de joie et en faisant retentir les klaxons. Ils étaient HEUREUX (nos reporters vous l’ont fait vivre).
Et la victoire de Bolsonaro est LEGITIME : 55% des Brésiliens ont librement choisi l’extrême droite.
Autrement dit, le candidat qui remet le plus en cause la démocratie arrive au pouvoir par le processus démocratique. Et ce paradoxe est en train de devenir la règle.
Trump, vainqueur aux Etats-Unis l’an dernier. Et son parti est parfaitement capable, sinon de l’emporter, du moins de limiter les dégâts, mardi prochain lors des Mid Terms. Orban aisément reconduit par les électeurs au printemps dernier en Hongrie. Duterte, élu haut la main aux Philippines en 2016. Kaczynski, facile vainqueur en Pologne en 2015. Salvini, en passe de s’imposer lors des prochaines Européennes en Italie.
On continue ? Erdogan en Turquie, voire Poutine en Russie, même si la transparence du vote russe laisse à désirer.
Vous avez compris où je veux en venir. Ce ne sont pas des exceptions ou des coïncidences.
Il y a une transformation structurelle en cours : des tyrans en puissance, qui contestent le principe même du pluralisme, sont portés au pouvoir par la démocratie. Par l’objet d’un choix assumé des électeurs, des électeurs heureux de se doter d’un homme fort.
Et là, même si comparaison n’est pas raison, on est bien obligé de penser à l’ascension du parti nazi en Allemagne dans les années 1930, arrivé au pouvoir, faut-il le rappeler, par les urnes.
De Platon à Salvini
Nous sommes en présence d'un processus d’autodestruction de la démocratie. Et d’ailleurs je n’invente rien.
Tout cela a été décrit il y a 25 siècles par le plus célèbre des philosophes grecs, Platon.
Dans son ouvrage, La République, il décrit comment la démocratie porte en elle-même les germes de sa disparition et comment elle conduit à la tyrannie. En démocratie, « le peuple, écrit Platon, finira par prendre l’habitude de mettre à sa tête un homme dont il nourrit et accroit la puissance ».
Platon décrit en détails comment la démocratie s’autodétruit, et vous allez voir, tout cela résonne terriblement dans l’actualité d’aujourd’hui.
D’abord, dit Platon, les dirigeants élus ont tendance à confisquer le pouvoir. Et c’est ainsi que la dénonciation de la corruption au Brésil alimente le vote Bolsonaro. Ou que le rejet des élites de Washington nourrit le vote Trump.
Ensuite, les élites en question tendent à négliger les préoccupations populaires :
- Le besoin de sécurité (rester en vie), au cœur du vote Duterte aux Philippines ou encore une fois Bolsonaro au Brésil ;
- Le besoin d’identité, au centre des votes de droite radicale en Europe ;
- Le sentiment de dépossession, au profit de la classe dominante. Omniprésent dans le monde.
Surgit alors l’homme providentiel, le tyran potentiel, avec une pensée généralement simpliste, sur l’ordre, sur la richesse. Une pensée qui répond aux « passions humaines », selon la formule de Platon. C’est Trump, Orban, Salvini, Bolsonaro.
Et le philosophe grec ajoute : « l’un des écueils de la démocratie, c’est qu’une partie de la population finit par se laisser berner par les propos fallacieux des politiques ». C’est alors l’heure du tyran, l’homme qui cherche à gouverner seul de manière autocratique.
L'essoufflement généralisé de la démocratie libérale
Ce constat n'est ni optimiste, ni pessimiste. C’est juste un constat. On peut raisonnablement penser que ce processus va continuer. Les prochaines étapes s’appellent donc Mid Terms aux Etats-Unis mardi prochain, puis élections européennes en mai prochain.
En face, les tenants de la démocratie paraissent souvent démunis, incapables de proposer un modèle alternatif et de répondre aux demandes des électeurs.
Il y a 30 ans, au moment de l’effondrement du communisme, l’intellectuel américain Francis Fukuyama avait prédit le triomphe de la démocratie libérale occidentale, qui allait selon lui s’imposer partout.
30 ans après, c’est exactement l’inverse qui se produit : la démocratie occidentale donne au contraire l’impression de s’essouffler partout.
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