Les présidents turc et russe Erdogan et Poutine ont donc sorti de leurs manches, hier soir, un plan pour éviter un drame humanitaire à Idlib en Syrie. On est tellement habitués aux catastrophes en Syrie qu’on a du mal à y croire. Et pourtant, pour une fois ça pourrait fonctionner. C'est le "monde à l'envers".
Voici la formule d’un diplomate qui connait bien le sujet : « Il y a une chance pour que ça marche » !
Comme les diplomates sont d’une prudence de sioux, il ne faut pas attendre davantage d’optimisme, mais c’est déjà pas mal.
Oui, il y a un petit espoir pour que cette proposition turco-russe permette d’éviter le carnage. Rappelons que 3 millions de personnes se trouvent dans cette région d’Idlib, la dernière à résister aux forces d’Assad après 7 ans de guerre.
Il y a un petit espoir d’abord parce que c’est justement une proposition turco-russe. Autrement dit, les deux poids lourds étrangers engagés dans le conflit syrien se sont entendus. Et leur accord est précis : ils veulent donc mettre en place, entre Idlib et la frontière turque, une zone démilitarisée de 15 km environ de profondeur.
Ne pourraient y pénétrer que les civils : pas d’armes lourdes, pas de mortiers, pas de lance-roquettes.
Et tous les accès à la zone seraient contrôlés par des patrouilles conjointes des armées turques et russes. Ce n’est pas rien.
Evidemment, Erdogan comme Poutine y voient leur intérêt. La Turquie veut éviter un nouvel afflux de réfugiés syriens sur son sol, elle en accueille déjà plus de 3 millions. Et elle veut aussi asseoir son influence dans cette zone.
La Russie, de son côté, ne veut pas se fâcher avec la Turquie et la voir revenir dans le camp occidental.
Et Moscou profite de l’occasion pour apparaître dans la région comme le « faiseur de paix », le seul interlocuteur qui parle à tout le monde.
Pour parvenir à cet accord, Erdogan et Poutine ont eu, semble-t-il, une discussion « franche et virile ». Mais maintenant qu’ils ont trouvé un accord, on peut faire le pari qu’ils vont vraiment chercher à le mettre en œuvre.
Une approbation tacite de l'Iran et des Européens
Quant aux autres pays impliqués dans le conflit, ils ne vont pas nécessairement s'en mêler.
Parce que ça arrange plein de monde que la Turquie et la Russie se chargent de faire le boulot.
L’Iran d’abord. Ce matin, Téhéran a officiellement salué l’accord turco-russe.
Il est possible que les Iraniens ne souhaitent pas s’investir militairement davantage en Syrie. En plus, leurs milices et celles de leur allié, le Hezbollah, ne semblent que très peu présentes dans la région d’Idlib. Donc l’Iran pourrait observer une certaine neutralité.
Quant aux Occidentaux, ils sont en dehors du jeu et semblent dans l’incapacité d’agir. Donald Trump ne songe qu’à se retirer de Syrie.
Et la priorité des Européens c’est avant tout d’éviter un nouvel afflux de réfugiés syriens. Donc si la Turquie fait le boulot, c’est un souci de moins. Le seul risque pour l’Europe, c’est une confusion générale dans la région qui provoquerait l’infiltration de djihadistes sur le sol européen.
L'inconnue Assad
Il y a une chance que ça marche. Mais il y a évidemment plein de facteurs qui peuvent tout faire capoter.
Le premier, c’est Assad. Le président syrien a promis, je cite, de « libérer Idlib et chaque m2 du territoire syrien ».
Jusqu’à présent, dans les autres régions, il a toujours fini par donner l’ordre d’attaquer. On voit mal pourquoi il renoncerait cette fois-ci.
Par-dessus le marché, il ne supporte pas l’ingérence turque. Donc la question c’est de savoir si Poutine peut retenir Assad.
Deuxième incertitude : comment vont faire, concrètement, les Turcs et les Russes pour séparer les civils des jihadistes, et n’autoriser que les premiers, les civils, dans la zone démilitarisée ?
Dans cette zone d’Idlib, on estime la présence jihadiste à plus de 50.000 combattants, regroupés pour moitié sous la bannière Hayat Tahrir al Cham. Avec beaucoup de combattants étrangers. Et des spécialistes de l’infiltration, parfaitement capables de passer inaperçus au milieu des civils.
Erdogan et Poutine se donnent un mois, jusqu’au 15 octobre, pour mettre en place cette « zone tampon ».
C’est un sacré défi. Quatre semaines, ça laisse largement le temps pour que se multiplient les provocations, les mises en scène macabres, et que se déclenche un nouvel engrenage de guerre.
L’attaque contre un avion russe aujourd’hui montre qu’en Syrie, tout est possible d’un instant à l’autre, et surtout...le pire. Mais pour une fois, il y a donc, à Idlib, un petit espoir d’éviter le pire.
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