Le dossier des migrants continue d’empoisonner l'Europe. Après l’affaire de l’Aquarius, Angela Merkel a échappé de peu aujourd’hui à une crise politique sur le sujet. Cessons de faire semblant de croire aux discours humanistes, en fait le concept de l’Europe « forteresse" a déjà gagné. C'est le "monde à l'envers".
Commençons par tailler en pièces quelques illusions ou mirages…
Des illusions qui pourraient laisser croire que l’Europe est encore une terre d’accueil. La vérité est très différente.
Première illusion, le coup d’éclat de l’Espagne sur l’accueil de l’Aquarius. C’est réussi médiatiquement. Mais ce paravent cache une réalité plus triviale : nos voisins espagnols accueillent très peu de réfugiés, 4700 l’an dernier, 10 fois moins que la France.
Deuxième illusion, la controverse de la semaine passée, sur le même sujet, entre la France et l’Italie.
En réalité, on a eu droit à un numéro de commedia dell’ arte. Des postures un brin hypocrites dans les deux cas, puisque, tout compte fait, le résultat est le même : ni Paris ni Rome ne voulaient accueillir les migrants de l’Aquarius.
Troisième illusion : Angela Merkel a réussi, cet après-midi, à éviter la démission de son ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, qui réclame une expulsion systématique des déboutés du droit d’asile.
En fait, la chancelière a juste obtenu un sursis de 2 semaines : début juillet, la Bavière, le Land de Monsieur Seehofer pourrait bien fermer ses frontières.
Enfin, dernière illusion : l’idée que Paris et Berlin pourraient décrocher un accord sur la politique migratoire, lors du sommet européen de la semaine prochaine.
C’est simple : la probabilité d’un accord sur le volet « accueil », répartition des migrants par pays avec un système de quotas, cette probabilité est quasi nulle. Le seul accord envisageable porte sur le durcissement aux frontières : la commission propose de tripler le budget affecté à cette tâche, et de multiplier les effectifs de police du dispositif Frontex par 8 dans les 10 ans à venir !
J’ai bien dit par 8.
L'axe Rome Berlin Vienne
La position dure, celle de l’Europe forteresse, promue notamment par l’Autriche, a donc déjà gagné.
Et c’est sur cette base que l’Europe désormais se construit.
La semaine dernière, effectivement, le chancelier autrichien Sebastian Kurz a parlé, je cite, d’un « axe Berlin-Vienne-Rome, un axe des volontaires dans la lutte contre l’immigration illégale ».
Tout est dit : il ne s’embarrasse même pas de scrupules, sur les relents historiques fascistes que comporte ce mot « axe ».
L’Autriche s’apprête à prendre la présidence tournante de l’Union, et dit : nous travaillons sur le sujet depuis plusieurs mois avec d’autres pays. Il faut que les migrants n’entrent même pas en Europe.
Qu’ils soient parqués dans des camps de rétention, en Turquie, en Albanie, en Egypte ou en Libye, le temps que l’on sélectionne ceux que l’on veut bien faire entrer.
Sous-entendu : que les migrants meurent le plus loin possible de chez nous. Qu’ils soient invisibles.
Sur ce projet, il sera soutenu :
- Par les ministres de l’Intérieur italien et allemand ;
- Par les 4 pays du « groupe de Visegrad » (Hongrie, Pologne, Slovaquie, République Tchèque) ;
- Et sans doute aussi par les gouvernements néerlandais, danois, slovène et peut-être même belge.
Ne cherchez plus, la majorité des pays européens penche désormais de ce côté.
Alors, vous allez me dire : oui mais c’est un coup tactique pour résister aux poussées électorales de l’extrême droite !
Non ! C’est bien davantage : une conversion idéologique à cette logique du repli, où l’acceptation d’une culture différente est perçue comme une naïveté.
L’Europe forteresse n’est plus un sujet de débat. Elle est là.
Le paradoxe de l'union politique du repli
Donc il y a bien une union en Europe, mais pas celle qu’on croit. Et c’est là, si vous voulez, où c’est vraiment le « monde à l’envers » !
Je m’explique.
Pour être efficace, cette Europe forteresse nécessite une politique commune très coordonnée :
- Anticipation des mouvements migratoires,
- Coordination des agences extérieures de développement,
- Partage d’information entre les services de renseignement,
- Opérations militaires structurées contre ceux qui chercheraient à forcer le passage.
Nous parlons là d’une action politique commune dont l’Europe a été, jusqu’à présent, incapable de se doter, si ce n’est en matière monétaire.
L’union politique de l’Europe, en panne sèche depuis des années, est donc susceptible d’avancer sur un ciment idéologique (la fermeture des frontières) qui est à l’exact opposé de ses principes fondateurs d’ouverture et d’humanisme venu des philosophes des Lumière.
Ça peut vous plaire ou vous déplaire ; mais c’est en tous cas un extraordinaire retournement de l’Histoire !
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