La fin du tabou des frontières dans les Balkans

Le président kosovar Thaçi lors de sa rencontre récente en Autriche avec son homologue serbe
Le président kosovar Thaçi lors de sa rencontre récente en Autriche avec son homologue serbe  ©AFP - HERBERT NEUBAUER / APA / AFP
Le président kosovar Thaçi lors de sa rencontre récente en Autriche avec son homologue serbe ©AFP - HERBERT NEUBAUER / APA / AFP
Le président kosovar Thaçi lors de sa rencontre récente en Autriche avec son homologue serbe ©AFP - HERBERT NEUBAUER / APA / AFP
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Rencontre hautement symbolique demain à Bruxelles : sous égide européenne, des négociations entre les présidents serbe et kosovar. Au cœur des négociations, un sujet TABOU depuis deux décennies : les frontières dans les Balkans. Ces deux présidents, Jean-Marc, veulent y mettre fin. C'est "le monde à l'envers".

Le plus extraordinaire, c’est que ces deux là ne s’aiment pas. Aleksandar Vucic le Serbe, et Hashim Thaçi, le Kosovar, le disent et l’assument publiquement : « on ne s’aime pas ».

Mais ils ajoutent : « ce n’est pas une raison pour ne pas faire la paix ».

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Et depuis trois mois, ils ont donc entamé un rapprochement spectaculaire, et certains diplomates Occidentaux avancent des comparaisons audacieuses : style Mandela-De Klerk lors de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud.

Nous n’en sommes pas là. Mais l’espoir de paix existe.

Au départ, tout oppose ces deux hommes. Ils se sont tirés dessus au sens premier du terme : fin des années 90, c’est la guerre au Kosovo, ce petit territoire de la taille d’un département français, au cœur des Balkans, au sud de la Serbie.

Vucic fait alors partie des ultra nationalistes serbes, Thaçi est un chef nationaliste kosovar.

Les combats font 13.000 morts. L’OTAN finit par intervenir, sans mandat de l’ONU. La France fait partie de l’opération. 

Un peu plus tard, le petit Kosovo, à forte majorité albanaise et musulmane, devient indépendant, 145 pays l’ont maintenant reconnu. Mais pas la Serbie voisine, à majorité chrétienne orthodoxe. 

C’est un conflit larvé. 

Et ça arrive parfois, ce sont donc les anciens acteurs de la guerre qui deviennent les acteurs de la paix. Les deux adversaires militaires d’hier sont désireux que leurs pays accèdent à l’Union Européenne. Ça ne se fera pas sans la paix. 

Donc les voilà qui sortent du chapeau l’idée « interdite » : un changement du tracé des frontières. Un troc : le Nord du Kosovo (Mitrovica) qui compte 120.000 Serbes contre l’extrême Sud de la Serbie (la vallée de Presevo) qui compterait 50.000 Kosovars. 

Un vrai tabou dans la région et dans les relations internationales depuis 20 ans.

Le nationalisme des deux côtés

C’est simple, ça va à l’encontre de toutes les idées reçues sur le sujet depuis 20 ans. 

Et à l’encontre de fortes oppositions politiques, à l’intérieur des deux pays, mais aussi à l’extérieur.

Commençons par l’intérieur.

Au Kosovo d’abord, de très nombreux députés menacent le président Thaçi d’une motion de défiance. La pression nationaliste est forte. Ça c’est pour les laïcs, l’opposition officielle.

Mais il y a aussi une pression religieuse plus souterraine, avec l’essor dans le pays de mouvements musulmans salafistes, peu enclins au dialogue avec les chrétiens serbes.

Et de l’autre côté, en Serbie, c’est l’effet miroir. Cette fois, c’est l’Eglise orthodoxe qui mène l’opposition à un redécoupage des frontières. Elle annonce déjà des manifestations.

Sa position est simple : le Kosovo tout entier appartient à la Serbie, ça va même plus loin, le Kosovo c’est la terre de grands monastères orthodoxes, c’est une sorte de « Jérusalem serbe ». 

Les militants ultranationalistes ne veulent donc pas entendre parler d’un troc qui pour eux s’apparenterait à la Berezina, une défaite en rase campagne.

La crainte d'une boite de Pandore

Il y a aussi une opposition à l’extérieur et le tabou est tout aussi fort.

L’Europe a été traumatisée par les années sanglantes dans les Balkans. 

Les Allemands en particulier sont très inquiets à l’idée que l’on puisse rouvrir le dossier des frontières. Ils y voient une boite de Pandore. Pourquoi ?

Parce que d’autres minorités, ailleurs dans la région, pourraient revendiquer à leur tour : la minorité serbe en Bosnie, la minorité albanaise en Macédoine, voire la minorité hongroise en Voïvodine (c’est en Serbie).

Et Berlin considère qu’il ne faut pas aller vers des pays ayant chacun une homogénéité ethnique et religieuse totale. Que c’est dangereux.

La Russie n’est pas chaude non plus, pour des raisons très différentes. Elle trouve plus utile que se maintienne, comme ça aux portes de l’Europe, une zone de tension larvée avec pauvreté, chômage et corruption à la clé comme aujourd’hui.

Mais, pour la première fois, l’idée du troc des frontières a aussi ses supporters.

Les Etats-Unis d’abord. Et ils sont écoutés au Kosovo, où ils sont populaires. Il y a même une statue de Clinton à Pristina, la capitale.

La France ensuite, alliée de Trump sur ce sujet : même si Paris ne le dit pas officiellement, on estime au Quai d’Orsay qu’il faut avancer vu la volonté des deux présidents serbe et kosovar.

On se résume : toucher aux frontières dans la région, c’est risqué. Ça peut être une plongée dans l’abysse, mais ça peut être aussi un coup de génie.

Ça s’appelle un pari politique.