La confusion politique continue à Londres sur le Brexit, entre rejet du plan de Theresa May et confiance malgré tout potentiellement renouvelée à la Première ministre. En face, l’Europe parait cohérente. Mais elle serait bien inspirée d'en tirer des leçons aussi pour elle-même. C'est "le monde à l'envers".
Disons le tout de go : la cacophonie britannique est consternante et pathétique. Et je dis ça alors que j’ai un penchant bienveillant pour nos voisins d’Outre-Manche. Mais là, franchement, cette incapacité à se mettre d’accord, c’est n’importe quoi.
Et c’est vrai qu’en face, l’Europe, par contraste, fait plutôt bonne figure.
Primo, elle continue, comme depuis le début sur ce dossier du Brexit, d’avancer unie.
L’Union Européenne est pourtant divisée sur plein de sujets, mais là-dessus elle avance en rangs serrés, cohérente, pour défendre ses lignes rouges : sur la frontière irlandaise, les normes sociales, l’Union douanière.
Secundo, ce débat démontre que l’Union Européenne est bien réelle, que l’intégration est forte et simplifie nos vies sur de nombreux sujets. C’est pour ça qu’en sortir est extrêmement compliqué, voire quasi impossible. Et les Britanniques sont en train de l’apprendre à leurs dépens.
En un sens, toute cette cacophonie sur le Brexit est donc une publicité pour l’Europe : la quitter c’est difficile et douloureux.
D’ailleurs, c’est très révélateur : même les gouvernements européens les plus nationalistes et populistes du continent, ne souhaitent pas voir leur pays sortir de l’Union.
Donc la crise britannique donne, par miroir inversé, le sentiment d’une force européenne.
La crise générale de la démocratie occidentale
Mais… il y a un gros mais !
D'abord en cas d’absence d’accord, il va y avoir des effets en chaine pour l’économie européenne. En cas de No deal, il y aurait une zone de turbulences économiques sur tout un tas de sujets : les transports, les mouvements de personnes, les services, la sécurité, tout.
Et surtout ça va bien au-delà : le risque, c’est l’aveuglement, regarder cette cacophonie britannique avec condescendance, « c’est leur truc à eux, qu’ils se débrouillent ».
En fait non : ce n’est pas uniquement un truc à eux.
Ce qui leur arrive, c’est ce qui nous arrive à nous aussi, Français, Italiens, Allemands, Américains. C’est une crise majeure de la démocratie occidentale dite « représentative ».
Reprenons. Quel est le sujet aujourd’hui à Londres : c’est en résumé « qui est légitime pour décider » ?
Le référendum populaire qui a enclenché le Brexit ? Le premier ministre qui présente un plan ? Le Parlement qui refuse ce plan mais n’en a pas d’autres ? Les sondages qui laissent penser aujourd’hui à un rejet du Brexit ? Les réseaux sociaux qui ont alimenté tous les fantasmes sur l’Europe ?
Qui est légitime ? Et qui peut dégager un compromis, un consensus acceptable ? Même dans cette très vieille démocratie britannique, la réponse est : plus personne. Résultat : cacophonie totale.
Le problème, c’est que nous n’avons pas de leçons à donner à nos voisins.
En France, la crise des gilets jaunes soulève la même question, qui est légitime : le Président élu au suffrage universel ? Le Parlement ? Les maires ? Le référendum à tout va ? Les réseaux sociaux ? Plus personne n’est d’accord.
Qui est légitime en Italie, où l’homme fort n’est pas le chef du premier parti, mais le leader le plus actif sur les réseaux sociaux, Matteo Salvini ?
Qui est légitime en Allemagne, où la chancelière ne maitrise même plus son parti ?
Qui est légitime aux Etats-Unis, où le Président élu insupporte la moitié de la population ?
Dans ces pays avec des régimes politiques pourtant très variés (parlementaire, présidentiel, fédéral), le même problème domine : il n’y a plus de dépositaire évident de la légitimité démocratique, et il y a une telle fragmentation des sociétés que le compromis devient impossible.
La quête du compromis malgré tout
Alors que faire ? Si on en revient au Brexit, la meilleure option pour l’Europe, c’est quand même de chercher une nouvelle fois du compromis. Peut-être accepter un report de la date limite du 29 mars. Tendre la main malgré tout.
Surtout ne pas traiter Londres avec mépris, garder la porte ouverte en espérant qu’à un moment donné, la classe politique britannique va se ressaisir pour accepter enfin un « deal ».
Sinon, nous pourrions entrer en terre inconnue.
Cette terre où l’incapacité à se parler et à s’entendre peut sceller la fin de la démocratie libérale. Où le choix de l’homme fort et de l’autoritarisme devient, aux yeux de beaucoup, préférable, parce que plus efficace.
Ce moment où, pour citer le philosophe italien Antonio Gramsci, « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaitre ». « Ce moment de clair-obscur où, écrivait Gramsci, surgissent les monstres »
L'équipe
- Production
- Chronique