L’administration Trump tient à nouveau des propos choquants. John Bolton le conseiller à la sécurité de Donald Trump a violemment attaqué la justice internationale lors d’un discours la nuit dernière. Les Européens s’insurgent. Mais en fait Washington est très logique sur ce dossier. C'est le "monde à l'envers".
Premier réflexe, on se dit : décidément l’équipe Trump ne respecte rien ! Les mots de John Bolton sont violents : la CPI, la Cour pénale internationale, est « inefficace, irresponsable, voire dangereuse ».
Et il en rajoute une couche : « nous ne coopérerons pas avec elle, s’ils cherchent à nous poursuivre, nous empêcherons leurs juges de pénétrer sur le sol américain et nous les poursuivrons nous-même en justice, ainsi que tous ceux qui leur prêteront assistance ».
Conclusion, comme un clou sur le cercueil, je cite toujours : « nous allons laisser mourir la CPI, d’ailleurs pour nous elle est déjà morte ». Pour être raide, c’est raide !
Et là, notre première réaction en bons Européens que nous sommes, c’est : comment l’équipe Trump ose-t-elle cracher à la figure de la seule institution de justice internationale susceptible de poursuivre des individus, notamment pour crimes de guerre ?
La CPI, rappelons-le, est en exercice depuis 2002, elle a été ratifiée par 123 pays, et elle compte 18 juges professionnels. Elle est financée en grande partie par les pays européens, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne. Vu d’Europe, il y a donc là une nouvelle attaque 100% Trump contre l’espoir d’une justice supérieure des hommes.
America first depuis toujours
Sauf que c’est un peu plus compliqué. Il ne fait aucun doute que le président américain est de l'avis de son conseiller. C’est dans sa logique du « America First » : hors de question de reconnaitre le moindre raisonnement supranational ou multilatéral. Seule compte la puissance américaine.
Mais en réalité, ce n’est pas nouveau. Si on fait abstraction de la forme toujours très cash voire trash et si on regarde le fond, Trump est en réalité dans la continuité de ses prédécesseurs.
Les Etats-Unis n’ont jamais ratifié la Cour pénale internationale.
En 2002, ils ont même adopté un texte où ils s’autorisent potentiellement à intervenir militairement s’ils veulent soustraire à la justice internationale l’un de leurs ressortissants.
Et même Obama, oui Obama, n’a rien fait. D’accord il a tenu de beaux discours multilatéralistes, il a envoyé des observateurs à la CPI, une première pour les Etats-Unis. Mais a-t-il ratifié pour autant et rejoint la juridiction ? Zéro.
Il y a donc une logique américaine qui préexiste à Trump, un sentiment de supériorité qui se résume vite : la Constitution américaine est plus importante que les textes internationaux.
Et bien entendu cette posture se durcit encore quand la Cour envisage de poursuivre des soldats américains. Comme c’est le cas aujourd’hui pour des soupçons de torture en Afghanistan.
Rien d’illogique donc dans la position de John Bolton.
Une justice inefficace
Mais ça va plus loin : ses arguments sur la justice internationale ont une part de vrai.
Peut-on aller jusqu'à dire que la CPI est « inefficace, irresponsable et dangereuse » ?
Elle est en tous cas inefficace. Les critiques sont nombreuses.
D’abord c’est une justice très lente : les procédures sont interminables, les procès tout autant. Et les conditions de saisine compliquées. Après 16 années d’existence, les procédures réellement engagées ne concernent que 5 pays, et il n’y a que 6 personnes derrière les barreaux.
En plus, tous ces actes, c’est la 2ème critique, ne visent que des dirigeants d’Afrique Noire, congolais, ivoirien, kenyan, soudanais. Du coup plusieurs pays d’Afrique, le Burundi, le Kenya, l’Afrique du Sud, y voient une justice raciste et sont en froid avec l’institution.
En fait c’est jusqu’à présent une justice de vainqueurs. Elle s’attaque aux perdants, mais elle épargne les puissants. Du moins jusqu’à présent. Parce que sous l’impulsion de sa nouvelle procureur, c’est en train de changer. Fatou Bensouda, c’est son nom, est gambienne.
Elle a lancé des enquêtes préliminaires en Ukraine contre les exactions de Moscou, en mer de Chine contre les exactions de Pékin. Et peut-être en Irak contre l’armée britannique, dans les territoires palestiniens contre l’armée israélienne et donc en Afghanistan contre des soldats américains.
Autrement dit, la CPI se décide enfin à élargir son champ d’action.
Le problème, c’est qu’elle tombe au mauvais moment : un moment de l’Histoire où les replis nationaux l’emportent sur les logiques supra-nationales. Elle a donc peu de chances de remporter son bras de fer contre Washington
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