La pression politique augmente autour de l’Arabie Saoudite deux semaines après la disparition du journaliste Jamal Khashoggi à Istanbul. Les Saoudiens, on le rappelle, sont soupçonnés de l’avoir assassiné. Mais cette pression politique ne doit pas faire illusion : on ne lâchera pas Ryad. C'est "le monde à l'envers".
Au premier coup d’œil, on se dit : ça chauffe pour le matricule du prince héritier saoudien Mohammed Ben Salmane, surnommé MBS !
Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a été dépêché en urgence dans la région : il a rencontré hier soir à Ryad le roi Salmane, le père de MBS ; et il était ce matin à Istanbul pour un entretien avec le président turc Erdogan. Dans le même temps, plusieurs grandes entreprises viennent d’annuler leur participation au forum « Davos du désert », prévu mardi prochain à Ryad.
Et on lit, ici ou là, que c’est un tournant dans la relation avec l’Arabie Saoudite, que si le pouvoir saoudien a eu l’impudence de commanditer un assassinat sur un sol étranger, et en plus dans des circonstances très scabreuses, alors il faut taper du poing sur la table.
Et bien je vais jouer les rabat-joie, mais il n’est pas évident que ça se passe comme ça, pour des tas de raisons.
Les premières sont géopolitiques. Pour les Etats-Unis en particulier, l’Arabie Saoudite est un allié incontournable dans la région.
D’abord face à l’Iran : Téhéran c’est l’ennemi numéro un désigné par Donald Trump. Donc l’Arabie, grand rival religieux et politique de l’Iran, est un allié. A fortiori pour espérer constituer un front arabe contre Téhéran.
Ensuite, sur le dossier israélo-palestinien. Trump rêve de faire avaliser un plan de paix à sa sauce.
Et il en a chargé son gendre Jared Kushner, qui est donc devenu très copain avec, devinez qui, le prince saoudien MBS ! Entre autres parce qu’il compte là aussi sur l’Arabie Saoudite pour faire avaler ce plan à des Palestiniens marginalisés.
Ça, c’est pour la géopolitique.
Le plus gros acheteur d'armes au monde
Il y a aussi des raisons économiques, et pas qu’un peu !
Avant toute chose, il y a les ventes d’armes. C’est tout simple : l’Arabie Saoudite est le premier acheteur au monde : avions F15 américains, hélicoptères Apache, chars Leclerc, canons Caesar, tout y passe.
Les Etats-Unis ont décroché le cocotier récemment, avec un contrat de 100 milliards de dollars auprès de Ryad : c’est tout bonnement gigantesque.
Et la France n’est pas en reste : l’Arabie Saoudite est le 2ème marché pour les armes françaises, après l’Inde. Au passage, on ferme les yeux sur le fait que ça sert à tuer des civils au Yémen voisin.
Ensuite, il y a évidemment le pétrole. Là c’est l’inverse : Ryad n’achète pas mais vend.
L’Arabie Saoudite, c’est le 1er producteur d’or noir, avec des réserves pour les 250 années à venir !
Et les Occidentaux, même si leur dépendance au pétrole diminue, ont besoin des Saoudiens pour stabiliser les cours. Ils sont les seuls capables de le faire. Surtout au moment où l’Iran, autre gros producteur, est confronté aux sanctions américaines.
Enfin, il y a les nouveaux marchés saoudiens, ceux que le prince MBS est en train d’ouvrir aux entreprises étrangères : l’eau, le tourisme, les transports, etc.
Tout cela fait beaucoup d’intérêts économiques. Dont le poids est beaucoup plus important que la mort d’un journaliste.
L'inconnue du roi Salmane
Donc il est possible qu'au bout du compte, on se contente de protestations de façade.
D’ailleurs, soit dit en passant, on ne fait pas tant de bruit que ça.
Donald Trump observe qu’il n’y a pas de preuves de l’assassinat de Khashoggi. Et il est peu probable que le président américain verse des larmes de crocodiles pour un journaliste qui collaborait pour le Washington Post, journal détesté par le patron de la Maison Blanche.
La France demande mollement des explications à Ryad. Et même le président turc s’est gardé de désigner nommément des responsables.
Le plus probable, c’est que les Etats-Unis ne sanctionnent pas Ryad. Mais se servent de cette affaire comme d’un moyen de chantage auprès des Saoudiens, par exemple pour décrocher des contrats supplémentaires.
Il reste une inconnue : c’est la situation politique intérieure en Arabie Saoudite.
Le prince MBS, dont plusieurs collaborateurs directs semblent impliqués dans la disparition de Khashoggi, s’est fait beaucoup d’ennemis au sein de l’élite du pays. Même son protecteur de père, le roi Salmane, pourrait commencer à trouver qu’il pousse le bouchon trop loin.
En résumé : il est très peu probable que cette affaire nous fasse lâcher l’Arabie Saoudite. En revanche il n’est pas exclu que le prince MBS soit, à un moment donné, lâché par son père.
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