Que le diable m'emporte

France Inter
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Le conseil littéraire de Juliette Arnaud

Que le diable m’emporte - Mary Maclane - Editions du Sous-sol

Découvrir ce livre, c’est se souvenir de ses 20 ans. 

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Pas l’âge prétendument béni, la fleur de l’âge, l’âge de tous les possibles, et patati et patata. Non, pas celui-là, l’autre. L’écrivaine a 19 ans : juste à la limite de l’âge symbole qu’elle est trop fine pour ne pas craindre. Mary Maclane vit alors à la toute fin du XIX, dans une ville minière, assez paumée, « Je ne connais actuellement personne qui pourrait m’aimer », certainement pas sa famille, pas Valmy pas Verdun, comme disait Barbara, mais rien qui la porte, alors elle lit, elle écrit, elle fait son ménage, elle mange, toutes activités qu’elle aime, elle marche dans la lande, le « sable stérile », en un mot, elle étouffe. 

Et pourtant elle a un corps, dont elle se félicite de sa vigueur, de ses désirs. « Je peins la lumière qui émane de tous les corps », disait Egon Schiele, Mary Maclane se concentre sur la lumière du sien. Elle attend le bonheur, elle l’appelle, « le bonheur rouge, si rouge du soleil couchant ». « Ça ressemble à un orage terrifiant, l’été, avec la pluie et le vent, qui transforment des rivières paisibles en torrents déchaînés, et ploie des arbres immenses jusqu’au sol plongeant la terre verdoyante dans des confusions délicieusement douloureuses ». Elle pourrait être Emma Bovary, à force d’étouffement : elle mise tout sur ce livre, cette confession qu’elle écrit. Qu’elle envoie, et qui va marcher grâce à une éditrice qui a déjà publié L’Eveil de Kate Chopin, intense intérêt pour le livre, scandale bien sûr, et Mary Maclane se barre, et entreprend de mener sa vie d’écrivaine, de féministe, de femme bisexuelle. 

Mais avant comment on fait? Comment on réussit un livre qui électrise les foules? On propose tout simplement son âme. A un mari ? Hahaha. A Jesus-Christ le sauveur du monde? Mary Maclane ne croit pas à ça. Alors? A qui? Forcément à celui là : « Please to meet you/ Hope you guess my name/But what’s puzzling you/ Is the nature of my game ». Mieux elle négocie avec lui pour obtenir la clé de la porte qui conduit aux choses pailletées et mauvaises, elle écrit : 

Doux diable, j’aimerais vivre environ 7 ans de mal judicieux avant la mort, si tu le veux bien. Dix-neuf ans de Néant odieux, sept ans de Mal Judicieux et puis la mort. Une noble ambition 

Elle a pas froid aux yeux, la môme. Elle m'en rappelle une autre que notre invité connait bien, et qui encore maintenant s’attire les foudres du clergé, encore récemment, en concert aux Philippines, à force sans doute de se sentir comme une Vierge, la Madonne, pour ne pas subir et je cite « les attaques subtiles du Malin ». Imaginez cette petite personne dans sa ville Butte, Montana, il y a plus d’un siècle de ça, à négocier avec le Diable, et qui en dehors de son amour pour deux Charlotte, Brontë et Corday, vénère … Napoléon. 

J’ai la personnalité, la nature d’un Napoléon, mais dans sa version féminine. Par conséquent, je ne conquiers rien; je ne me bats même pas. Je parviens seulement à exister

Imaginez la cette petite personne à ressasser ses 17 portraits de notre empereur (oui bon ben chacun ses marottes) mais qui ne se laisse pas emporter par de sottes idées, elle s’en bats les couettes, Mary Maclane, des dures et brillantes victoires, elle devine juste et raide : Point d’appel à la Jeanne d’Arc, ou à la de Gaulle, la grandeur de la France, patati patata, 

Napoléon Bonaparte ne vivait que pour satisfaire Napoléon Bonaparte

C’est souvent ce qu’on reproche à ce genre littéraire, le trop plein égotiste, le nombrilisme comme poney de bataille, et c’est une crétinerie et en tout cas ici : dans un des premiers exemples du genre, un souffle universel.

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